Par Aurore Blanc
Ces voyages qu’on n’a pas faits
En matière de voyage, chacun·e a sa manière de se préparer. Certaines personnes ont besoin de prévoir en amont les moindres détails de leur périple. D’autres préfèrent se laisser porter au gré des aléas et des rencontres. Mais toutes en rêvent jusqu’au départ. Sauf que parfois, en une seconde, tout bascule. Voyage annulé. Un accident, un problème de santé, une grève des transports… et il faut renoncer au film qu’on s’était fait pendant des jours, des mois ou des semaines. Comment faire (ou non) le deuil d’un voyage longuement préparé? Comment rebondir en cas de voyage annulé ? Enquête et témoignages de voyageur·euses qui s’en sont (plus ou moins bien) remis !
Rêver son voyage
Il existe un nombre incalculable de raisons qui nous poussent à envisager un voyage. Soif d’aventure, curiosité, besoin de changer d’air, de se vider la tête ou bien de voir du pays… Quand ce besoin devient pressant, on s’attelle à imaginer son voyage. Quelle destination ? Quel moyen de transport ? Fixe ou itinérant ? Où manger ? Où dormir ? Qui retrouver ? Quels lieux incontournables visiter ? Quel budget y consacrer ?
Pour moi, rêver son voyage est déjà en soi une manière de voyager. On se laisse porter par ce que l’on pense déjà savoir, et on frémit de ce qu’on va découvrir. On laisse se dérouler le film de nos images mentales. Cela génère inévitablement des attentes que l’on espère combler.
En 2023, j’avais imaginé le voyage de mes rêves : un tour de France en van aménagé jalonné de retrouvailles avec des ami·es et de la famille aux quatre coins de l’hexagone. Je voyais déjà les visages souriants, les soirées dans les jardins à jouer de la guitare et chanter, les conversations autour du feu jusqu’au bout de la nuit… Cela me semblait correspondre à mon besoin profond de vivre mes vacances de manière simple avec un petit budget, et j’en étais ravie d’avance.
Or, parfois, on place tellement d’attentes dans un voyage qu’il devient inconcevable qu’il ne puisse pas avoir lieu. Et pourtant, ça arrive. Plus souvent qu’on ne le croit.
J’ai écrit cet article pour parachever le deuil de ce projet avorté, et pour comprendre comment d’autres ont surmonté cette épreuve.
Voyage annulé: ça arrive!
Accident
Le 30 juillet 2023 , au niveau de Metz (2e jour de notre tour de France prévu sur un mois), on s’est retrouvés à l’arrêt sur l’autoroute, en fin de bouchon. Un camion de chantier nous est rentré dedans à une vitesse hallucinante et a littéralement broyé tout l’arrière de notre van dans lequel se trouvait notre chienne. On a eu la peur de notre vie.
Combien de fois vous est-il arrivé de passer à proximité d’un accident sur la route des vacances et de vous dire : « Je n’aimerais pas être à leur place » ? On a essayé de relativiser, de se dire qu’on allait trouver une solution pour continuer. Mais quand on voyage en van, notre véhicule est aussi notre lieu de vie et de couchage. Le choc passé, on a pu faire remorquer le véhicule et s’occuper de toute la paperasse… Mais on savait bien que nos vacances étaient fichues.
Chien non autorisé
Back to the 80’s. Françoise me confie un souvenir de son 1er voyage, en 1984. Elle était partie en camping-car avec une de ses amies et le compagnon de celle-ci, ainsi que leur chienne. « Direction la Norvège et le cercle polaire en passant par la Belgique et le Danemark : un vieux rêve ! » Mais ils ont été dénoncés (elle ne se souvient plus par qui) : les chiens étrangers n’étaient pas admis dans le pays à cause d’une législation très stricte sur la rage, ce qu’ils ignoraient ! Une négligence qui leur a coûté « un retour illico presto au Danemark et l’annulation du séjour en Norvège. » La chienne a dû faire le trajet retour toute seule dans la cale d’un ferry, pendant qu’ils roulaient à toute vitesse pour la récupérer au port de Copenhague !
Santé et épidémies
Pour Marie, c’est le contre-avis du cancérologue qui soigne son mari qui l’a poussée à annuler le voyage de leurs rêves au Québec en avril 2024. Le trajet aurait pu dégrader encore son état de santé ; ce n’était pas raisonnable.
Marina me rappelle pour sa part que l’arrivée du COVID en 2020 a été une sacrée épreuve pour beaucoup de voyageur·euses : devoir annuler un voyage ET rester cloîtrée chez soi, c’était nettement moins accrocheur que le séjour en Guadeloupe qu’elle avait prévu pour les vacances de Pâques !
Quant à Charlotte, elle me raconte avec intensité un souvenir encore douloureux qui date de son année de 5e : « J’étais particulièrement heureuse car depuis mon enfance je tombais toujours sur l’année où il n’y avait pas de voyage. Et là on allait pouvoir rencontrer nos correspondants en Angleterre, et prendre l’avion ! Mais au tout dernier moment, dans l’aéroport, le directeur prend la parole: voyage annulé à cause de la grippe A ! Le collège où on allait avait fermé à cause de l’épidémie ! J’ai vraiment cru que c’était une blague… Jusqu’à ce que les familles commencent à quitter l’aéroport. »
Voyage annulé et émotions
Ne l’oublions pas : pouvoir voyager et faire du tourisme, c’est un privilège. Pour autant, l’impact émotionnel que peut avoir sur nous le renoncement à un voyage n’est pas négligeable.
Culpabilité
C’est aussi la crise du COVID qui a empêché Guillaume et Hugo de retourner au Japon en 2020. « Je n’ai juste pas osé réagir, me confie Hugo. A ce moment-là, la situation sanitaire me semblait tellement grave que me plaindre de ne pas pouvoir partir, à grands frais, à l’autre bout du monde, ça me donnait l’impression de faire un caprice. Et pourtant, je n’ai toujours pas surmonté la peine que ça m’a causé. Ça peut sembler idiot mais cette annulation reste une blessure béante. Nous n’avons jamais pu être remboursés car nous partions avec une compagnie russe ; la guerre en Ukraine a quelque peu compliqué les choses… »
Déception
Marie parle de la profonde déception qui a suivi sa décision d’annuler son voyage au Québec. Elle et son mari pensaient qu’ils ne pourraient plus jamais faire ce voyage à cause de ses soucis de santé. « C’était une sensation étrange, comme si la vie nous laissait sur le bas-côté de la route. »
Frustration
Charlotte se souvient d’abord du profond chagrin engendré par l’annulation de son voyage scolaire en Angleterre : « J’ai été dévastée. J’ai dû pleurer toute la soirée, j’étais en état de choc. En plus le lendemain, il a fallu retourner au collège ! Le quotidien a repris son cours, mais le sentiment d’injustice est resté. Je me demande parfois si ce n’est pas le point de départ de ma difficulté à accepter la frustration, encore aujourd’hui ! »
Colère
Marina s’est accrochée à son rêve malgré le COVID : « Au début, j’étais dans le déni : la situation évoluait de semaine en semaine et j’espérais sincèrement que les choses allaient se débloquer. Et puis j’ai dû me rendre à l’évidence. Ça m’a mis un sacré coup au moral. Le jour qui aurait dû être celui du départ en Guadeloupe, j’ai fondu en larmes. Évidemment qu’il y avait pire : des gens mourraient, les hôpitaux étaient surchargés… Mais je ne supportais pas qu’on m’empêche de m’enfuir. »
Voyage annulé: aller de l’avant
Ces émotions violentes et contradictoires sont bien compréhensibles. Pourtant, le plus souvent, une fois la tempête passée, elle laissent une place nouvelle à des réflexions et des projets tout aussi enrichissants !
Repenser ses relations
Fabienne m’a parlé de l’annulation d’un séjour à Florence avec ses enfants et une famille d’amis qui l’avaient tout laissé gérer en amont. La charge mentale que représentait l’organisation d’un tel voyage à plusieurs familles était colossale. D’autant plus qu’elle craignait que ses amis, peu impliqués jusque-là, la laissent encore tout gérer sur place. Elle me confie quelques jours plus tard : « Je t’avoue que finalement, je suis presque soulagée. Ça ne l’aurait sans doute pas fait. Alors avec l’argent que j’ai pu récupérer, j’envisage de ne pas repartir avec eux mais de faire un voyage seulement avec mes enfants ! »
Idem pour Françoise qui, avec le recul, ne regrette pas d’être rentrée plus tôt de son périple avorté vers la Norvège : « Le copain de mon amie n’était vraiment pas sympa ! Dans ces conditions, deux couples et un chien en camping-car, ça aurait pu créer des tensions.»
Changer de vie
Pour Lucie, qui avait prévu de partir vivre à la Réunion fin 2023, renoncer à ce projet a été une excellente décision : « Ma meilleure amie m’a dit qu’elle était enceinte au moment où j’envisageais de quitter la France et m’a demandé d’être la marraine de son bébé. J’ai donc attendu la naissance de mon filleul que je voulais voir avant de partir. Entre-temps, j’ai rencontré un homme que j’aime de tout mon cœur, j’ai pris un chien… Et au final, je n’ai plus du tout envie d’aller passer des mois ou des années aussi loin alors que je suis bien ici ! J’ai décidé de mettre de l’argent de côté pour acheter un camion ou un camping-car, aller bosser en saisons et que ma vie soit un voyage perpétuel ! »
Faire de nouveaux projets
Marina n’a pas baissé les bras : elle a profité du confinement qui l’a empêchée de partir en Guadeloupe pour préparer son premier voyage solo en Albanie : « En juillet 2020, jusqu’au dernier moment, je n’étais pas sûre de pouvoir partir. Vols annulés, frontières hors UE fermées à cause du COVID… Je suis partie quand même, à la grande surprise de tout le monde. Tout le monde sauf moi qui m’étais juré que rien ni personne ne m’empêcherait plus d’aller où je voudrais cette année-là. Mon voyage en Albanie est l’un des plus beaux voyages de ma vie, notamment en raison de la liberté qu’il a symbolisé pour moi. »
En voyage comme en amour
Les vadrouilleur·euses le savent : il est impossible de prévoir à l’avance toutes les galères qu’on peut rencontrer en voyage. De même, il faut accepter que, jusqu’au dernier moment, tout peut être annulé. Faut-il pour autant renoncer au voyage sous prétexte que les imprévus engendrent des émotions si douloureuses ? Ce serait comme vouloir renoncer pour toujours à l’amour après une rupture difficile : compréhensible, mais irrationnel. Légitime, mais pas insurmontable. Car, en amour comme en voyage, le temps amène une forme de réparation qui nous permet de nous projeter vers un avenir différent, souvent encore plus beau. Quoiqu’il puisse vous arriver, vous n’êtes pas seul·e à vivre cela, soyez-en sûr·e. Quant à moi, je m’en vais planifier avec enthousiasme mon prochain tour de France… avec un ou deux plans B. Un voyage annulé, dix de retrouvés?
Pour d’autres conseils pratiques autour du voyage, découvrez sur notre blog les articles d’Aya :
Comment voyager avec un enfant?
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