Par Aurore Blanc
Que ramener d’un voyage pour respecter folklore et fabrication locale ?
Rares sont les voyageur·euses qui échappent au passage quasi obligatoire par les boutiques de souvenirs. L’injonction à ramener un petit quelque chose est bien intégrée : rentrer les mains vides, ça ne se fait pas. Mais que ramener ? Un mug, un briquet, un porte-clé, un T-shirt, un tote bag, une boule à neige, un torchon… ? La large gamme de produits proposés est plus souvent made in China qu’issue d’une économie locale soucieuse de faire perdurer son folklore. En outre, ces objets-souvenirs à l’utilité contestable offrent souvent du pays visité une vision très restreinte et vidée de sa signification d’origine. Dans quelle mesure ces objets sont-ils représentatifs de la culture d’un pays entier ? Peut-on acheter du souvenir local ? Explorons ensemble les boutiques de souvenirs de quelques capitales européennes visitées par Aurore ces dernières années.
Bérets désuets et tours Eiffel made in China
Le saviez-vous ? 80 % des objets vendus dans les boutiques de souvenirs parisiennes viennent de l’étranger. Il y a de quoi nous faire cogiter, non ? Si le T-shirt I love Paris, la tour Eiffel en plastique ou le béret soit-disant français (sérieusement, combien de français portent-ils réellement ce genre de bérets?) sont fabriqués à l’autre bout du monde, que cherche-t-on à rapporter chez soi ? Une image qui se doit d’être conforme à celle que l’on se fait du pays visité. Peu importent les conditions de fabrication. Mais alors, quid de l’authenticité ? Paris n’est qu’une des nombreuses capitales peuplées de boutiques de souvenirs en Europe et dans le monde.
Ainsi, ce constat m’amène à interroger mes propres pratiques de consommation en tant que touriste. Je me demande aussi quelle image je me fais, moi, des pays que je vais visiter. Car la France est un bon exemple de pratiques culturelles régionales très diverses. Puis-je, à l’image des touristes de passage à Paris, me contenter d’objets peu utiles, vecteurs de clichés, et pas du tout fabriqués sur place ?
Chapkas synthétiques et « cristal de Bohême »
Prague est la seule capitale que j’ai visitée sans avoir en tête d’image préconçue. J’étais donc un peu perdue quand j’ai cherché des souvenirs typiques. Sur la plupart des boutiques de souvenirs s’étalait la criarde mention « Bohemian Crystal » (Cristal de Bohême). En y regardant de plus près, la vaisselle et les bijoux proposés tenaient plus de la verroterie bas de gamme que du cristal. Je me souviens aussi des chapkas en fourrure synthétique et des poupées russes qui maintiennent vivace l’idée que La République Tchèque n’est qu’une banlieue de la Russie. J’ai accordé un peu plus de crédit aux représentations du magnifique Pont Charles orné de ses belles statues noires. Mais comment en percevoir la saisissante beauté en regardant un mug ou même une carte postale ?
En revanche, j’ai été marquée par les marionnettes et pantins de bois peints à la main, vendus par certains artisans1. On dit qu’en République Tchèque, il n’est pas une famille qui ne possède au moins une de ces marionnettes traditionnelles. À travers elles, j’ai découvert tout un pan de la culture tchèque qui m’était jusqu’alors inconnue. Presque 15 ans plus tard, je regrette que mes maigres économies d’étudiante ne m’aient pas permis de faire l’acquisition d’une de ces merveilles artisanales. Et j’ignore ce que sont devenues les breloques en plastique que j’avais finalement rapportées…
Chopines et costumes bavarois
Dans les boutiques de souvenirs de Munich, il est impossible d’échapper à l’épaisse chopine de bière, symbole du réputé Oktoberfest (fête de la bière durant laquelle les habitant·es de la ville célèbrent sans limites leur amour pour leur boisson préférée). On trouve aussi des représentations des costumes traditionnels bavarois. Mais lesquels sont réellement fabriqués en Allemagne ? Et puis, soyons, honnête : je ne les aurais jamais portés ! S’en tenir à ces deux symboles serait très restrictif au vu du patrimoine culturel impressionnant dont regorge la ville. D’autres symboles, comme son blason encadré de deux lions d’or, sont peut-être plus authentiques. Mais qui en connaît encore l’exacte signification ? Un blason-magnet sur le frigo, c’est au moins utile pour accrocher la liste de courses… même s’il a sans doute été fabriqué dans une usine chinoise. Je n’ai pas pu me décider. Je me souviens juste d’avoir acheté quelques cartes postales ornées de bière coulant à flot et de bretzels. Honte à moi.
Union Jack et famille royale
Peut-on revenir de Londres sans un mug ou un tote-bag aux couleurs du fameux drapeau anglais ? J’ai voulu faire dans l’originalité. Mais les représentations des célèbres bus rouges à étages m’ont amusée, sans plus. Quant aux divers portraits de la famille royale déclinés sur tous les supports possibles et imaginables, ils m’ont laissée totalement insensible. Difficile pour une touriste française de mesurer à quel point leurs figures revêtent une importance majeure pour le peuple britannique. Difficile, donc, de trouver un objet qui ne confine pas aux éternels clichés déconnectés de la réalité. Si les bus rouges sont toujours utilisés dans la ville, on sait par exemple que les cabines téléphoniques rouges inusitées font seulement partie d’un décor folklorique qui amuse les touristes. Opter pour une boule à neige contenant le Big Ben ne me semblait guère plus utile. Un torchon (fabriqué au Bangladesh) représentant le Tower Bridge, peut-être ? Histoire de voyager un peu en séchant la vaisselle…
Trèfles et Leprechauns
La capitale irlandaise a le mérite d’être restée une ville à taille humaine dans laquelle il est aisé de se déplacer à pied. Mais sortis du quartier de Temple Bar, peu de gens cherchent à comprendre en profondeur la signification des symboles de Dublin. Ici encore, la bière semble faire partie intégrante de la culture locale. Et au moins, on est sûr·e que la Guinness n’a pas été fabriquée en Chine ! À Dublin, les boutiques de souvenirs regorgent aussi de trèfles et de Leprechauns. Le trèfle serait une métaphore de Sainte Trinité (Père, Fils et Saint Esprit) utilisée par Saint Patrick venu évangéliser l’Irlande au Ve siècle. Quant au lutin farceur en costume vert qu’est le barbu Leprechaun, il paraît que si on l’attrape, il peut exaucer trois de nos vœux ! J’avoue éprouver un amour particulier pour les créatures issues du folklore local.
Mais les images que j’ai préférées étaient celles représentant les multiples portes d’entrée arrondies sur fond de murs de brique qui peuplent la ville. Il y avait là, au moins, quelque chose de l’ordre d’une poésie urbaine authentique. En creusant un peu, j’ai aussi trouvé de magnifiques reproductions tirées du Livre de Kells. Ce manuscrit enluminé par des moines de culture celtique autour de l’an 800 foisonne de détails visuels vertigineux. C’est certes moins trivial qu’un mug orné d’un Leprechaun, mais un peu de culture littéraire n’a jamais fait de mal à personne !
Masques et gondoles
Même si je m’y suis rendue à la période très (trop!) touristique du grand carnaval, Venise reste une des villes les plus pittoresques que j’aie pu visiter. Bien sûr, les gondoles ont la part belle dans les boutiques de souvenirs. On trouve aussi, sur les quais les plus fréquentés, des tas d’échoppes mobiles où pend toute une population de masques « traditionnels » (souvent des reproductions en plâtre sorties d’usines). Il faut creuser un peu pour trouver de vrais masques artisanaux peints à la main. Une fois encore, ça vaut le coup d’y mettre le prix pour soutenir l’artisanat local.
Pour la petite anecdote, j’ai entendu dire que la plupart des gens costumés lors du grand carnaval sont des touristes ayant loué des costumes pour la semaine. Les locaux ont sans doute mieux à faire que de parader dans de somptueuses mais peu pratiques tenues d’apparat. De quoi nous faire réfléchir sur les coutumes que l’on associe à une ville ou un pays… Je me souviens avec tendresse des petits objets en verre soufflé de l’île de Murano, accessible en quelques minutes de vaporetto (les bateaux-taxis). À travers les vitres de certaines boutiques de l’île, on pouvait voir les artisans souffleurs au travail. Authenticité garantie !
Trolls et casques vikings
Concernant les représentations très clichées des vikings, j’ai appris bien après mon passage dans la capitale islandaise que leurs casques ne portaient pas de cornes. Ce seraient les chrétiens qui les en auraient affublés pour les rendre plus diaboliques ! Rentrer de Reykjavík avec un casque à cornes était de toute façon exclu. Quant aux trolls qui font partie intégrante du folklore nordique, je me souviens qu’ils avaient la part belle dans les vitrines de la capitale islandaise. J’en ai même vu de gigantesques à l’entrée des boutiques de souvenirs. Mais quels touristes mesurent vraiment leur place centrale dans la culture islandaise? Notre collaboratrice Warlotte a consacré à ce sujet un passionnant article à la tribu des 13 trolls. J’ai donc dédaigné le tentant magnet en bois « I survived Island » fabriqué en Chine. Même s’il représentait bien mon périple estival sous tente pendant quelques nuits de tempête. Je me suis plutôt tournée vers les boutiques qui proposaient de la documentation concernant le Huldufólk ( « peuple caché »). Ça m’a au moins fait de belles histoires de créatures magiques traditionnelles à lire et à raconter une fois rentrée.
Je pourrais continuer indéfiniment cet inventaire d’objets, de figures et de symboles croisés dans les pays européens que j’ai traversés. Même s’ils témoignent d’une certaine richesse culturelle, méfiance : beaucoup ont fini par perdre leur réelle signification aux yeux des touristes avides de ne pas rentrer les mains vides. Pour ma part, il me semble aujourd’hui important de remettre en question certaines de mes habitudes de voyageuse-consommatrice. Un passage par les boutiques de souvenirs est-il vraiment nécessaire ? Si je tiens vraiment à rapporter quelque chose, puis-je au moins m’assurer de soutenir l’artisanat local ?
Au fond, je sais bien que ces objets ont surtout pour but de lutter contre la dimension éphémère de mes souvenirs. Contre la peur de l’oubli. Et qu’ils font office de preuve tangible de mon passage quelque part, ailleurs.
Et si nous décidions collectivement de nous concentrer un peu plus sur les rencontres que permettent les voyages ? Sur les images et les sensations qui nous restent en tête des années plus tard ? Et si nous faisions un peu plus confiance à notre mémoire ? Ne serions-nous pas plus respectueux des pays traversés et de la culture de leurs habitant·e·s? À méditer…
1 Cliquez ICI pour en savoir plus sur la tradition des marionnettes de Prague.
Sources :
– France TV info : Où sont fabriqués les souvenirs de vacances ?
– Souvenirs et marketing, un passionnant article sur Les souvenirs et ce qu’ils ont à voir avec l’image de la destination