Interview de HeyTon’s, illustrateur pour VETC
Propos recueillis et mis en forme par Aurore Blanc
Quelques infos sur Istanbul
Byzance, Constantinople, Istanbul… Autant de noms qui désignent la plus grande métropole de Turquie. L’agglomération stambouliote concentre aujourd’hui environ 15 millions d’habitants. Si sa capitale, Ankara, est souvent moins connue, c’est parce que c’est Istanbul la véritable vitrine culturelle du pays. En effet, quatre de ses zones sont inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco. De quoi faire rêver les globe-trotters qui, comme notre illustrateur HeyTon’s, s’y sont rendus. Pourquoi passer un nouvel an à Istanbul ? Il nous raconte ses souvenirs…
« Portrait chinois » d’une métropole turque
Quand et pourquoi t’es-tu rendu à Istanbul ?
Il y a plus de 10 ans, en 2014, j’ai eu pour projet de rejoindre des amis de mon ancienne copine qui faisaient leurs études là-bas. Ils nous avaient invités à passer le nouvel an avec eux. J’y suis donc resté du 27 décembre 2013 au 4 janvier 2014.
Un souvenir culinaire marquant ?
Je me souviens surtout du Mercimek , une soupe de lentilles souvent accompagnée d’un kebab à l’aubergine. C’était délicieux ! Je me souviens aussi d’un genre d’immense pâte à pizza à la tomate sur laquelle on pouvait ajouter des crudités à volonté et du citron. Après on repliait la pâte en deux comme un gros chausson et on dévorait le tout. J’en ai oublié le nom. Mais pas le goût !
Une couleur ?
C’est difficile d’en choisir une. Dans mes souvenirs, tout est multicolore : les tapis, les faïences, les lampes, les vêtements des gens… Avec plein de motifs d’arabesques. Sinon, c’est le jaune qui me revient. J’ai surtout déambulé dans la ville la nuit, et je revois les couleurs chaudes émanant de la lumière des réverbères.
Une odeur ?
Celle du thé et du citron. L’odeur du thé était omniprésente dans la ville. Dans la rue, quand tu marchais dans un bazar, des gens sortaient de leurs petits stands et t’en proposaient de tous les côtés pour quelques dizaines de centimes. C’était délicieux. Je me souviens qu’on payait en TL (livres turques).
Un son ?
Celui des percussions et de la guitare locale. En fait ça s’appelle un quanûn. J’ai voulu me renseigner sur les instruments de musique traditionnels dans une boutique, et je me suis retrouvé à jouer avec deux ou trois Turcs. À la base, je suis guitariste, mais je me suis adapté. J’ai joué du quanûn pour la première et dernière fois de ma vie ! Je suis resté près de quatre heures dans cette boutique à jouer de la musique et c’était merveilleux! Mais je n’ai rien pu acheter car les instruments étaient trop fragiles pour le trajet en avion.
Rencontre à l’auberge de jeunesse
Où logeais-tu ?
Comme l’appartement de mes amis était trop petit, j’ai logé dans deux auberges de jeunesse différentes. La première est celle qui m’a le plus marqué : c’était dans le quartier Sultanahmet. Je dormais dans un dortoir de 16 places tout en haut du bâtiment. Il ressemblait à une boîte en verre posée sur les toits, avec un accès direct aux terrasses. J’en ai peu profité car il faisait quand même froid. Juste en face se trouvait la Mosquée Sainte Sophie, la plus vieille d’Istanbul. Je l’ai dessinée sans même me lever de mon lit ! J’entendais tout le temps les appels à la prière. C’était forcément un peu perturbant au début. Mais j’ai adoré l’endroit.
Des rencontres marquantes?
L’auberge de jeunesse dont je viens de parler était tenue par un jeune Syrien d’à peu près mon âge. Il accueillait les hôtes, s’occupait de la cuisine et du ménage… Je sais qu’il travaillait beaucoup, mais j’ai pu prendre un café avec lui et on a sympathisé. Ce jour-là, il m’a raconté son histoire ainsi que celle d’un autre Syrien qui vivait là depuis plus d’un an. Lui, il était kiné, et son compatriote cardiologue. Mais ils avaient dû fuir leur pays à cause du contexte politique et des conflits. Après avoir perdu tous les deux leur maison, leur travail et leur famille, plus rien ne les retenait. Ils sont arrivés à Istanbul parce que c’est la porte d’entrée vers l’Europe. Et d’un autre côté ça restait pas trop loin de chez eux, au cas où la situation s’améliorerait. Ils vivaient là depuis plus d’un an, de manière « temporaire », dans les dortoirs avec tout les touristes qui faisaient la fête et bougeaient beaucoup. C’était la première fois que j’étais confronté à un récit direct de personnes qui avaient vécu de telles situations. Ça m’a marqué. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus.
Mon nouvel an à Istanbul
Une soirée cosmopolite
La nuit de mon nouvel an à Istanbul ressemblait en fait à une soirée parisienne. On était beaucoup trop nombreux dans le tout petit appartement de mes amis. La différence, c’est que ça parlait toutes les langues : turc, italien, anglais… On communiquait comme on pouvait. Dans mes souvenirs, il y avait des gens très différents, de plein de nationalités. On buvait beaucoup, on s’embrassait… Beaucoup d’effusions qui étaient mal vues dans les espaces publics à ce moment-là, d’après nos amis qui vivaient sur place. En effet, on trouvait très peu d’alcool en vente en ville : ça ne faisait pas partie des coutumes turques. Alors on a un peu transgressé.
Je n’ai donc pas vécu un nouvel an “local” : j’ai juste l’impression d’avoir transposé mes habitudes de Français dans cette toute petite bulle à l’autre bout de l’Europe. Finalement, la fête du nouvel an en elle-même n’était pas différente de ce que j’avais pu vivre en France. Mais il y avait une saveur particulière à être là avec autant de gens qui ne parlaient pas la même langue que moi, et qui pourtant éprouvaient la même joie d’ être ensemble.
Une ville bipartite
Le lendemain du nouvel an à Istanbul, on a tout de suite eu envie de continuer à visiter la ville. Je me souviens qu’elle était littéralement coupée en deux, de part et d’autre du Bosphore. Une partie de la ville est clairement européenne à l’Ouest, et asiatique à l’Est. [voir la carte] Ça influence beaucoup l’architecture.
J’ai même pris un petit bateau pour visiter les îles de la mer de Marmara, au Sud du détroit du Bosphore. L’île de Heybeliada par exemple, est restée assez sauvage. Elle était remplie d’animaux domestiques en liberté dans les rues. Rien d’étonnant pour les chats et les chiens. Les poules, c’est déjà plus rare. Mais les chevaux et les moutons, ça m’a marqué. Si j’avais eu plus de temps, j’aurais aussi pu rejoindre la Mer Noire en remontant le Bosphore.
Une anecdote amusante me revient. Il y a quelques ponts reliant les deux parties de la ville. En-dessous, le trafic fluvial est intense et la propreté de l’eau ne fait pas rêver. Je me souviens que toute la journée, il y avait des locaux qui pêchaient sur un des grands ponts. Ils vendaient ensuite leur pêche aux restaurants. Les touristes faisaient des moues dégoûtées en passant à côté d’eux… sans savoir que c’étaient les mêmes poissons qu’ils allaient manger en terrasse le soir !
Avec le recul…
Ces souvenirs sont assez lointains, mais je garde en mémoire l’aspect chamarré de cette ville à la géographie très particulière. Avec le recul, j’ai l’impression de ne pas m’être suffisamment intéressé à la manière dont les locaux vivaient là-bas. Mon nouvel an à Istanbul ressemblait à n’importe quelle fête que j’aurais pu vivre en France. Mais j’étais jeune et je me comportais plus comme un touriste que comme l’illustrateur-enquêteur que je suis devenu. Raconter ces souvenirs me permet de prendre conscience que ma manière de voyager a évolué. Ma manière de rencontrer les gens aussi.
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* sources (pour l’introduction) : Wikipédia
* Plans de la ville : les monuments et le détroit du Bosphore