Rubrique Carnet de Voyage

Pologne – Le Pont des Sorcières

Connaissez-vous Wroclaw, ses nains et ses sorcières? Découvrez quelques particularités de la ville et les légendes qui y sont associées.
Aquarelle d'une sorcière de Wroclaw sur le pont des sorcières.
Illustration de Magrillu
Rubrique Carnet de Voyage

Pologne – Le Pont des Sorcières

Connaissez-vous Wroclaw, ses nains et ses sorcières? Découvrez quelques particularités de la ville et les légendes qui y sont associées.
Aquarelle d'une sorcière de Wroclaw sur le pont des sorcières.
Illustration de Magrillu

Par Aya Gogishvili 

Nous sommes en l’an de grâce 2019. Dans cette ère pré-covid, j’ai passé mon été à parcourir l’Europe. Accompagnée d’un ami cher, chargée de mon fidèle sac de voyage et munie d’un pass Interrail, un projet de livre occupait mon esprit tandis que je profitais de cette bouffée de liberté bienvenue. Quoi de mieux que le voyage pour se sentir de nouveau en vie ? Comme beaucoup d’entre nous, je ne peux me passer de ces échappées belles, qui éclairent la grisaille de nos quotidiens un peu trop lourds parfois. 

Pendant ce tour d’Europe, nous avons parcouru huit pays. J’ai adoré la Suisse pour ses paysages magnifiques, l’Ukraine pour sa capitale passionnante, la Roumanie pour ses richesses insolites, l’Allemagne pour sa capitale, la Slovaquie pour son paradis et la République Tchèque pour ses curiosités. Mais c’est en Pologne que nous avons passé le plus de temps. Et à raison, car ce pays est riche de trésors architecturaux, naturels et autres légendes fascinantes… 

Wroclaw, les nains et le pont des sorcières 

Wroclaw est une ville qui vaut le détour. On la connait notamment pour sa vie culturelle dynamique, la jeunesse de sa population et ses centaines de sculptures de nains disséminées un peu partout dans la ville. Cette installation rend hommage au groupe anarchiste Alternative Orange, connu pour ses happenings absurdes et pleins d’humour. Non seulement ces petites créatures constituent une fabuleuse occasion de découvrir la ville avec un esprit de chasse au trésor, mais elles représentent bien le charme de Wroclaw : ses rues fourmillent de façades architecturales magnifiques, d’artistes de rue, mais aussi de légendes liées au passé de la ville. Dans le quartier d’Ostrow Tumski notamment, un tout petit détail peut raconter une histoire passionnante : un massif de roses devant une église, un bas-relief représentant une tête hurlante (lien interne), ou même un pierogi (note) en pierre trônant au-dessus d’une arche… 

Parmi toutes ces curiosités, il en est une qui m’a pourtant fait mal au cœur. En effet, entre les deux tours de l’église Sainte Marie-Madeleine, il existe un pont dont l’histoire est bien plus sombre: le Mostek Pokutnic, surnommé “Le Pont des Sorcières”. Quelques histoires l’entourent, qui méritent que je vous les raconte.

L’histoire de la pénitente 

Si vous décidez d’aller visiter l’église Sainte Madeleine, il vous faudra payer une entrée. Vous aurez ensuite à grimper les volées d’escaliers qui vous mèneront au Pont. Si l’ascension est un peu rude, vous pourrez faire quelques pauses entre les étages. Entre quelques dizaines de marches, vous trouverez des panneaux qui vous donneront plus de détails sur l’histoire de l’église. Sur l’un d’entre eux, on peut lire la légende liée au Pont des Sorcières. 

Il y a longtemps, très longtemps, une vieille sorcière Tekla s’occupait de balayer le Mostek Pokutnic. La jeune Martyna était son aide, elle aussi pratiquante de la magie. Mais contrairement à son aînée, son cœur était aussi lumineux que son sourire. Martyna était très curieuse, et se demandait ce qui contraignait Tekla à habiter sur le pont. Après de nombreuses tentatives, elle réussit enfin à persuader la vieille de lui raconter ce qui lui était arrivé. 

Lorsqu’elle était jeune, Tekla ne travaillait pas, et n’aidait jamais sa maman à la maison. Elle taquinait sa petite sœur et préférait passer son temps aux bals et aux fêtes plutôt que de se consacrer à ses tâches. Elle se moquait des garçons qui lui demandaient sa main. Au bout de plusieurs années de ce manège, ses parents excédés décidèrent de la punir. Une malédiction la priva de sa beauté et la condamna à garder le pont. Tekla devait le surveiller pour qu’aucune feuille ne puisse se trouver dessus. 

Touchée par son histoire, Martyna décida d’aider la vieille sorcière et de la libérer de son fardeau. En échange, Tekla devait lui prêter son balai magique pour que Martyna puisse voler un peu au-dessus de la ville. Enchantée, Martyna s’est assise sur le balai et a commencé son vol. Alors qu’elle tournait au-dessus de la Place du Marché, elle vit un homme aux cheveux gris. Il avait un habit bleu marine aux étoiles d’argent. C’était le sorcier Michał. Il avait égaré sa baguette magique et ses lunettes, et avait oublié la formule magique à prononcer pour les retrouver. Sans ses lunettes, il ne pouvait rien voir ! 

Grâce au balai magique de Tekla, Martyna pouvait aller et venir partout à sa guise. Elle trouva facilement la baguette magique du sorcier. Pour la remercier, Michal lui proposa de réaliser un de ses vœux. Martyna lui demanda de faire en sorte que plus personne ne se retrouve jamais enfermé sur le Pont des Sorcières pour expier ses péchés. Le magicien souleva sa baguette, et prononça des paroles obscures qui firent s’écrouler le pont instantanément. Tekla était enfin libre. 

Encore et toujours les sorcières 

Le Mostek Pokutnic (ou Pont des Pénitentes) s’est effectivement effondré durant la Seconde Guerre Mondiale, et a été reconstruit en 2001. Est-ce à cause de cette histoire ? En tous les cas, on racontait que les filles de mauvaise vie, celles qui pratiquaient la magie ou encore qui refusaient d’effectuer les devoirs d’une femme seraient punies et iraient expier leurs péchés sur ce Pont. Forcées à le balayer pour l’éternité et privées de leur liberté, on les imagine regarder tristement la vie continuer dans les rues de Wroclaw. 

Lorsque je repense à cette église et son Mostek, cette petite particularité architecturale me rend un peu triste. Lorsqu’on se trouve entre les deux tours, on peut admirer une bien charmante petite sculpture de nain avec une sorcière, ainsi qu’une magnifique vue panoramique sur la ville. Mais c’est ce qu’elle représente qui me fait mal au cœur. A mes yeux, le Pont des Sorcières est l’un des innombrables stigmates d’un génocide qui n’a jamais dit son nom, et qui a eu lieu il y a quelques siècles. C’est l’un des très nombreux symptômes de l’oppression exercée sur les femmes, à travers les siècles. Lorsqu’on s’y trouve, il est facile d’avoir une pensée pour toutes celles qu’on a brûlées vives, simplement parce qu’elles étaient des femmes. Je me mets à la place de celles qui vivaient à Wroclaw à l’époque où on craignait encore la magie, celles pour qui ce Pont devait représenter l’absolue nécessité d’accomplir leur devoir, sans quoi elles iraient rejoindre les nombreuses âmes en peine qui y étaient enfermées. Combien sont-elles à avoir eu peur de la pénitence ? Combien sont-elles à avoir craint de finir rangées parmi les femmes de mauvaise vie ? Impossible de le savoir. 

Au-delà des siècles qui nous séparent, j’ai envie de leur dire qu’aujourd’hui, on ne craint pas les sorcières, parce qu’on sait qu’elles ne sont pas les créatures diaboliques qu’on nous a dépeintes dans les contes populaires. Aujourd’hui, on sait qu’il faut craindre ceux qui les ont brûlées. J’ai envie de leur dire que même si tout n’est pas gagné, on a plus de moyens de s’accomplir en tant que femme de nos jours. Et que beaucoup d’entre nous désirent continuer de se battre pour préserver leurs libertés durement gagnées. Enfin, j’ai une pensée pour la sorcière Tekla, qui devait être une jeune femme éprise de liberté. Je l’imagine refusant de se conformer au rôle que la société médiévale lui avait attribué. Et maintenant la douce Martyna l’a délivrée, je voudrais lui souhaiter d’être libre pour l’éternité. Puisse-t-elle voler là où elle veut sur son balai magique, et apprécier la caresse mordante du vent dans ses cheveux gris.

Vous aimez les sorcières? Aurore vous raconte une légende de centre Bretagne où l’une d’entre elle ne joue pas le beau rôle…

D’autres blog en parlent: La figure de Baba Yaga racontée par La Plume Vagabonde sur son blog Monstres et Merveilles

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Une réponse

  1. Superbe illustration et belle histoire qui donne en effet à réfléchir à la condition des femmes de toutes les époques! Bravo Aya et magrillu!

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