Par Aurore Blanc
Vous souvient-il de la tragique histoire de Saint Trémeur que l’on représente portant sa propre tête dans ses bras ? Et de Saint Gildas, l’ermite qui le cacha un temps de la folie meurtrière de son père ?
Dans les environs du village de Guerlesquin (Finistère) où a lieu le fameux championnat de lancer de menhir tous les premiers jeudis d’août, nous fîmes un matin de juin d’autres étranges découvertes. A cette occasion, nous réalisâmes avec émerveillement à quel point un village, un canton ou une région peuvent entremêler à loisir les histoires populaires pour donner une explication « logique » à la présence d’éléments naturels ou de bâtiments remarquables. Absolument fascinant. Comment sont nées ces histoires ? Qui les a inventées ? Quand exactement ? Et laquelle vint en premier ? Difficile de le savoir avec certitude, car elles se sont d’abord et surtout transmises oralement pendant de longues décennies, voire pendant des siècles. Nous fûmes également frappés de découvrir dans un si petit périmètre plusieurs lieux insolites qui attirèrent notre attention presque simultanément, nous donnant l’impression de ne plus savoir où donner de la tête. Quel plaisir d’éprouver ce sentiment d’euphorie et d’effervescence intellectuelle lors de nos chasses aux contes ! La Bretagne est décidément une région aux richesses incommensurables qui nous donne parfois la sensation d’habiter un gigantesque jeu de piste aux énigmes infinies…
L’histoire de la chapelle Saint Trémeur tisse par exemple sa trame en lien avec d’autres légendes locales autour du personnage de Saint Gildas. Laissez-moi vous conter celle qui explique la présence du Menhir de Kerhellou, dit le « menhir du diable » ou la « quenouille de la vieille sorcière ». Situé à seulement deux kilomètres de la chapelle Saint Trémeur, au bout d’un champ en bordure de la D42, on voit de loin se dresser sa claire silhouette. Ses six mètres de haut en font un remarquable spécimen de la gente rocheuse. La légende locale raconte que quand Saint Gildas voulut installer son ermitage dans le vallon dont nous vous avons parlé dans l’épisode 1, il se heurta au mécontentement d’une vieille sorcière qui occupait le joli écrin de verdure. Pour déterminer qui gagnerait le droit d’y vivre (notons que la vieille y vivait déjà, tranquille et solitaire, mais bon, quelle légitimité accorder à une vieille sorcière ?), Saint Gildas lui lança un pari : si elle parvenait à construire autour dudit terrain un enclos de pierres avant le chant du coq le lendemain, le lieu serait à elle pour de bon. Ni une ni deux, la vieille à la force surhumaine se mit à collecter dans le coin toutes les grosses roches qu’elle trouvait. Mais prise par sa tâche, elle ne vit pas le jour se lever, et quand elle entendit le chant du coq, elle portait encore sur son dos la dernière pierre manquant à son enclos, à seulement deux kilomètres (c’est peu, en pas de sorcière). De rage, elle jeta la roche restante qui vint se planter dans un champ où elle se trouve toujours. Saint Gildas gagna donc le pari… Et se fit en prime construire à moindre coût son enclos paroissial !
A quelques centaines de mètres de là, toujours le long de la D42, nous découvrîmes peu après les pittoresques ruines de la chapelle Saint Thégonnec dont seule demeure une magnifique arche gothique qui constituait l’arrière du chœur de l’ancien édifice, construit au milieu du XVIème siècle. Sous les ronces amassées, nous devinâmes quelques murailles de vieilles pierres qui esquissaient le tracé du bâtiment avec une poésie toute romantique. Des ronces et des ruines. Et un tout petit écriteau qui mentionnait une nouvelle fontaine (comprendre « source guérisseuse ») à quelques pas de là. C’est de cette source que la chapelle aurait tiré à ses grandes heures son pouvoir de guérison. En effet, on invoquait Saint Thégonnec pour se protéger des épidémies, notamment de la peste et du choléra. L’histoire raconte que Saint Thégonnec, originaire comme Saint Gildas du Pays de Galles, aurait apprivoisé un cerf pour l’aider à tirer la charrette dans laquelle il transportait les pierres nécessaires à l’édification de son église. Mais un loup attaqua et dévora l’animal. Saint Thégonnec le sermonna alors si durement que le loup n’eut d’autre choix que de prendre la place du cerf pour terminer de convoyer les pierres. Ainsi, on reconnaît Saint Thégonnec toujours représenté avec un cerf et un loup à ses côtés.
Ici encore, point de hasard concernant l’emplacement de l’édifice religieux, des fouilles ayant révélé qu’il avait été construit sur l’emplacement d’un ancien Lech gaulois (mégalithe plat ou oblongue) qui indiquait un lieu de culte, peut-être funéraire.
Ainsi, bercés par toutes ces histoires où se mêlent magie et religion comme c’est si souvent le cas en Bretagne, nous reprîmes la route pour regagner notre jolie ferme et notre ménagerie à nous, en attendant de repartir en quête de nouvelles aventures.
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