par Aurore Blanc
Comment Le Rêve de L’Aborigène m’a donné encore plus envie de changer le monde
Le Rêve de l’Aborigène est un éco festival éthique et intergénérationnel dédié aux « cultures des peuples premiers » qui a lieu tous les ans depuis 21 ans. Au mois de juillet, 8.000 personnes en moyenne se retrouvent sur les 15 hectares de prairie d’Airvault, dans la région de Poitiers, pour partager de bonnes vibrations dans un univers hors normes. Hors norme parce que les stars de l’événement pratiquent une musique qu’on a peu l’habitude d’entendre. A base de didgeridoo, de guimbarde et de chant diphonique, des artistes venu·e·s du monde entier font vibrer la foule, parfois jusqu’à la transe. Hors norme aussi parce que les valeurs écologiques et humaines des organisateur·ice·s, des bénévoles et des festivalier·e·s jouent un rôle essentiel dans son atmosphère unique. Je vous raconte comment ce voyage sonore de trois jours m’a convaincue qu’un autre monde est possible…
Un éco festival aux infrastructures hors normes
« Pense à te poser ! »
La première chose qui m’a marquée en arrivant, c’est la profusion de tentes et de tipis présents sur le site. On a tout de suite l’impression de se trouver dans un autre pays. Mais… lequel ? Au Rêve, on ne se barricade pas sous un barnum à trois pans fermés, non. On se rencontre, on s’assoit en cercle, on peut s’étaler un peu partout sur des tapis ou dans des montagnes de coussins ou de vieux canapés pour se reposer à n’importe quelle heure de la journée. Et qu’est-ce que ça fait du bien de pouvoir rester sur site de 11h à 2h du matin sans être épuisé·e !
« Quand tu bois l’eau d’un puits, pense à celui qui l’a creusé »
Le festival est parsemé de panneaux colorés porteurs de beaux messages qui dépassent de loin leur fonction purement informative. Ça m’a amenée à me poser de nombreuses questions sur mon propre mode de vie. A quoi ça sert de faire ses besoins dans de l’eau potable ? Les toilettes sèches fournissent une solution très pertinente. Or contrairement à ce qu’on pourrait croire, ça sent bien moins mauvais que les préfabriqués ou les cabines plastiques suffocantes qu’on trouve dans la plupart des festivals. En outre, j’ai trouvé pratique l’organisation des points d’eau : sans installation inutile de lavabos, l’eau s’écoule naturellement dans l’herbe. Pas de gâchis. Et presque pas de bouillasse : il fait très chaud, ça sèche vite !
Au Rêve de l’Aborigène, comme chez de nombreux peuples autochtone, la gestion de l’eau organise la vie collective. Près du ruisseau qui traverse en partie le site, des douches collectives (non mixtes) permettent d’utiliser de l’eau non potable pour se laver. Il y a même une cabine individuelle si on n’est pas à l’aise avec le concept. Et un peu plus haut, on peut utiliser l’eau non potable pour faire la vaisselle dans l’espace cuisine commun autogéré.
« Ekolotri »
Il n’y a pas de poubelles classiques « tout venant » sur le site, mais d’imposants points de tri avec de super panneaux explicatifs qui invitent à gérer consciemment nos déchets, compost compris. C’est bien simple : en trois jours, je n’ai pas vu un seul papier par terre.
Ces installations m’ont permis dès mon arrivée d’interroger en profondeur la manière dont je vis au quotidien. Elles sensibilisent intelligemment et en douceur à des questions essentielles dans notre monde actuel tout en présentant de manière concrète des solutions très simples. J’ai compris que parfois, plus on fait simple (en utilisant les ressources locales et des matériaux de récupération), plus on respecte notre environnement.
Une programmation hors norme : voyage sonore et rencontres insolites
Les expressions « kiffer la vibe » ou « good vibrations » vous paraissent un peu galvaudées ? Pas ici , qu’on se le dise !
Les deux scènes sont positionnées dos à dos, l’une sous un bosquet de platanes, l’autre sous un bosquet de cèdres. Les arbres immenses qui fournissent une ombre bienvenue une partie de la journée se muent la nuit en portail vers un autre monde. Les éclairages bariolés projettent leurs fantasmagories sous une canopée aux allures presque organique. Embarquement immédiat pour le cosmos !
J’y ai découvert l’infinie palette vibratoire qu’offrent la guimbarde, le didgeridoo et le chant diphonique. Ces trois « instruments » ont la particularité de produire des vibrations sonores très profondes et extrêmement puissantes.
J’ai vu des centaines de personnes se lever d’un coup devant un seul gars qui mettait le feu avec sa guimbarde. Good vibrations.
J’ai senti dans mon propre corps les ondes projetées par des didgeridoos africains, asiatiques, européens, alors que j’ignorais tout de cet instrument millénaire qui m’a fait danser comme jamais. Good vibrations.
J’ai calqué les battements de mon cœur sur les voix de chanteurs mongols que je n’aurais jamais pu rencontrer dans un autre festival. Good vibrations.
J’ai ri, pleuré, chanté et décollé dans une transe méditative imprévue en assistant au concert de Lily Jung qui clôturait le second soir avec son Appel au Rêve. Very good vibrations.
Quel autre festival aurait pu me proposer de telles expériences ?
Vivre ensemble : un public hors normes
«Libre d’être qui je suis»
L’ambiance si particulière au Rêve de L’Aborigène dépend aussi énormément de la foule bigarrée de ses festivalier.e.s hors norme. Parce qu’au Rêve, on vient habillé.e comme on veut, on se peint le visage et le corps si on veut, et on enlève notre T-shirt quand on veut. On laisse le soleil et le vent caresser les parties de notre peau qu’on s’autorise enfin à leur offrir. La liberté est dans les têtes, mais aussi dans les corps. Ça vous paraît étrange ? Attendez, ce n’est pas fini.
« Sans alcool, la fête est plus folle »
L’immense bienveillance des Rêveurs et des Rêveuses dépend aussi d’un facteur inhabituel : c’est un festival sans alcool ! Chacun·e affirme ainsi sa solidarité « avec les peuples victimes de l’alcool […] pour vivre l’événement dans une ambiance sereine. » Un choix qui peut surprendre, mais qui change tout ! Au Rêve, personne ne nous bouscule ni ne nous piétine, qu’on ait envie de s’allonger n’importe où ou de danser pieds nus devant la scène. On prend beaucoup plus soin du site, on n’a pas mal au crâne quand on se lève, on est en forme dès 10h le matin… après une nuit reposante dans un camping vraiment calme! Pour moi, ça vaut bien la peine de renoncer à ma petite bière des soirs de fête.
« Tu écris, je crie »
Enfin, parce que tout le monde est en pleine possession de ses moyens, un véritable sentiment de cohésion et d’appartenance naît entre les festivalier·e·s. On y croise de nombreux enfants accompagnés de leurs parents ou grands-parents qui se retrouvent par exemple autour des criées publiques. Le crieur récolte et clame 2 à 4 fois par jour nos coups de gueules, nos joies, nos peines ou nos annonces et demandes. On recroise certaines têtes, on a nos blagues à nous, on devient des habitué·e·s… On pleure ensemble avec le futur papa qui apprend que sa compagne est enceinte. On rit à l’écoute des multiples punchlines d’une pré-ado timide qui a enfin l’occasion de faire passer ses messages (t’es la meilleure Erin!). Et dans mon cas, on trouve même du Nurofen pour calmer sa migraine. Belle solidarité !
Ça n’existe qu’au Rêve de l’Aborigène
Pour terminer, voici un florilège non exhaustif d’expériences hors normes que j’ai pu vivre durant le festival :
- une procession de centaines de didgeridoos, à la file puis en cercle, le dimanche après-midi
- le Cercle Solidaire : un câlin collectif avec des centaines de personnes au sein du cercle formé par les didgeridoos
- un rituel pour se connecter à la forêt, partagé avec le public par des autochtones venus spécialement d’Amazonie
- un concert où TOUT le public s’assoit et qui se transforme en méditation collective entre 1h et 2h du matin
- une girafe qui danse dans la foule sur des échasses
- des chiens paisibles qui dorment un peu partout
- un spectacle de feu avec des ballons géants en papier de soie qui volent en arrière plan
- des conférences en plein air durant lesquelles des peuples de l’autre bout du monde viennent parler du rapport à la nature propre à leur culture et à leur spiritualité
- le village du rêve, un marché de créateur·ice·s incroyable où l’ont peut acheter une guimbarde, des herbes médicinales ou un véritable tambour d’inspiration amérindienne …
La fin d’un rêve ?
J’avoue que j’avais accepté l’invitation à ce petit festival plus par curiosité que par réelle conviction. Je ne connaissais aucun.e des artistes programmé·e·s, je n’avais qu’une vague idée (un peu ringarde) de ce qu’était une guimbarde ou un didgeridoo… Finalement, le plus dur n’aura pas été de festoyer trois jours sans alcool, ni d’utiliser quotidiennement des toilettes sèches ! Non… ça aura été d’écrire cet article.
Il est tout bonnement impossible de décrire sans la trahir l’atmosphère unique de ce festival sur bien des plans hors normes. Plus qu’un festival, Le Rêve de L’Aborigène est un voyage sonore et spirituel, à la rencontre de l’Autre et de soi-même. Un véritable microcosme où se retrouvent des artistes venu·e·s de loin et des idéalistes qui partagent un même rêve : un autre monde est possible. Vous avez encore du mal à y croire? Venez faire un tour pour voir.
* Si vous voulez prolonger la réflexion sur la rencontre avec des autochtones, venez lire l’article dans lequel Inès vous raconte sa rencontre avec les Algonquins du Québec.
* Toutes les informations sur les valeurs, les engagements, la programmation et l’organisation du festival sur le site officiel du Rêve de l’Aborigène.
* « Trois jours hors du temps », un article du journal local La Nouvelle République
* « Un festival sous les radars », pour mieux comprendre comment est né le festival et sa programmation atypique