Rubrique Carnet de Voyage

QUEBEC – Séjour inopiné chez les Algonquins

Bienvenue dans la forêt Boréale du Québec! Inès nous emmène à Kitcisakik à la rencontre d'une communauté d'autochtones Algonquins, chez qui elle est arrivée par hasard lors de son roadtrip en solo en 2023. Où le hasard fait parfois bien les choses...
Rencontre avec les Algonquins 1
Illustration de HeyTon's
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QUEBEC – Séjour inopiné chez les Algonquins

Bienvenue dans la forêt Boréale du Québec! Inès nous emmène à Kitcisakik à la rencontre d'une communauté d'autochtones Algonquins, chez qui elle est arrivée par hasard lors de son roadtrip en solo en 2023. Où le hasard fait parfois bien les choses...
Rencontre avec les Algonquins 1
Illustration de HeyTon's

Par Inès Violette Ouhnia

La transcanadienne 

Journée d’octobre pluvieuse, je parcours la longue et rectiligne autoroute transcanadienne depuis la ville isolée d’Amos, où j’ai visité l’idéal refuge Pageau, jusqu’à la commune de Rivière-Rouge. Un trajet de cinq heures à travers la forêt boréale durant lequel les constructions humaines se limitent à des petits dépanneurs (épiceries en langue québécoise) principalement destinés aux trappeurs.

Dans la monotonie du trajet, un panneau défraîchi attire ma vision périphérique : il me semble y apercevoir le mot « communauté ». Lancée à 100 km/h, je ne m’arrête pas mais ce panneau continue de m’intriguer durant plusieurs minutes. Je décide de suivre ma curiosité et fais demi-tour. Je peux enfin lire les inscriptions du panneau : « Communauté Anicinape de  Kitcisakik ». Pas d’information plus précise, cependant un petit logo rassemblant  des silhouettes autour d’un feu et un attrape-rêve suggère une appartenance autochtone.

J’entame un petit chemin de graviers. Peu à peu, les trous sur la chaussée mais aussi les déchets sur le bas-côté se multiplient. Pas de doute, il y a là du passage humain.

Un pick-up passe, je lui fais signe et demande s’il y a bien un village au bout du chemin. « Oh oui, tu es à 500 mètres, mais comment t’as-tu atterri là? Tu vas voir c’est un autre monde icit ! » (accent québécois activé).

Kitcisakik, village autochtone

Je parviens à un tout petit village. Mis à part une yourte en bois, seuls des préfabriqués se dressent sur la grande étendue de terre et de graviers. Quelques personnes – et une ribambelle de chiens – font leur bout de chemin.

Je me gare devant un gymnase ouvert dans lequel jouent des enfants autochtones d’âges divers. Deux entraîneurs d’apparence caucasienne font signe de venir à quelqu’un derrière moi . Je finis par m’apercevoir que c’est moi qu’ils appellent : allons-y pour une partie de stick-ball, sorte de baseball !

Après le goûter distribué par leurs entraîneurs, les enfants se dispersent. Les deux travailleurs sociaux, qui s’emploient à l’éducation physique et sportive des enfants des communautés autochtones, me donnent leurs coordonnées et me démontrent une fois encore l’hospitalité québécoise : « N’hésite pas si tu as besoin de quoi que ce soit, on connaît du monde dans tout le Québec ! ».

Invitation à une cérémonie

Après la dispersion de ce joyeux rassemblement, je regarde autour de moi afin de trouver un lieu public, café, bar ou restaurant. J’aperçois du monde s’affairant dans un petit bâtiment, et quelques toques de cuisiniers. Je m’approche : il s’agit d’un snack avec vente de plats à emporter. Deux tables sont tout de même disponibles à l’extérieur. J’achète une petite canette : peut-être rencontrerai-je des gens ici, et dans le cas contraire cela me permettra au moins de participer, même dans une moindre mesure , à l’économie du lieu.

Quelques minutes plus tard, deux femmes et des enfants rejoignent l’autre table. Ils discutent et rigolent sans filtre. Ils me sourient et me font des blagues de temps à autre. 

Au bout d’un moment, la plus jeune des femmes entame la conversation. Gloria, c’est son nom, est originaire d’ici mais vit désormais à la ville, à Val d’Or. Elle continue de se rendre chaque jour dans cette communauté où elle est née  car elle s’occupe du centre de prévention sexuelle, le Planning Familial à la canadienne.

Elle me raconte que le village n’a pas l’eau courante et se procure de l’électricité via des générateurs. Domaine ancestral de la communauté Algonquine de la région, ces terres ne sont pas reconnues par l’Etat, lequel souhaite se les approprier. Ce dernier fait pression sur la communauté en ne viabilisant pas les terres et en les privant de constructions durables. Toutes les habitations et structures du village sont des pré-fabriqués : elles doivent pouvoir être retirées à tout moment. Sous la pression, une partie de la communauté a migré vers les réserves officielles comme Lac-Simon. Des différends familiaux font également qu’une fois de temps en temps, quelques-uns s’exilent de la communauté.

Suite à cette discussion, Gloria me demande ce que j’ai prévu de faire le soir, et comme je voyage au jour le jour et même à la minute la minute, cela tombe bien : « On fait un cercle de parole si tu veux venir ». Je m’assure qu’une présence étrangère est bienvenue parmi les autochtones de Kitcisakik. Attendant que les repas soient livrés, Gloria m’enjoint à me rendre à la yourte . C’est parti.

L’arrivée au “lodge”, lieu de rencontre algonquin

Un long panache de fumée s’échappe de la construction circulaire, embrumant le crépuscule. Je franchis, incertaine, les murs de tissu de la structure et vois une dizaine de regards se tourner vers moi : « Bonjour, je m’appelle Inès, je suis une voyageuse française, Gloria m’a dit de venir. »

Je suis accueillie par un algonquin chaleureux d’une cinquantaine d’années, Donald, une vieille dame discrète et mystérieuse, Louisa, et un groupe de femmes allochtones (canadiennes d’Europe). On m’invite à prendre place, je m’assieds. Donald me demande où j’ai prévu dormir le soir, et constatant que je n’ai pas de plan précis, m’invite à m’installer au gymnase du village avec le groupe de visiteuses : en études d’Hygiène Dentaire, elles sont en séjour culturel dans la communauté. Il me propose également de rester avec eux pour la suite du séjour, ce que j’accepte avec joie.

Louisa est la doyenne du village. Sa jupe traditionnelle contraste avec son sweat-shirt et sa casquette « Native Pride ». À ses pieds sont disposés une collection d’objets rituels : un calumet, large pipe cérémoniale, une carapace de tortue qui représente la Terre-mère, un bol de sauge, des sortes de petits sceptres …

Donald vient quant à lui de la réserve de Lac-Simon, située à une trentaine de kilomètres. Coiffé de son chapeau de cow-boy, il s’investit dans la transmission des traditions autochtones.

Peu à peu, Gloria et ses accompagnateurs mais aussi d’autres membres de la communauté arrivent et se joignent au cercle. Je commence à mieux comprendre les liens qui unissent tout ce petit monde : par exemple, la dame et l’adolescent que j’ai rencontrés avec Gloria sont respectivement la femme et le fils de Donald : ils s’appellent Nathalie, prénom français, et Wabinok, prénom autochtone. Au cours de la cérémonie du soir, un grand groupe de jeunes allochtones rejoindra également le cercle : l’école de police de Montréal, en séjour culturel avec leur professeur de sociologie Nancy.

Le cercle de parole

Les participants sont arrivés, les tambours ont été réchauffés par le feu central : la cérémonie du cercle de parole peut commencer.

Pour ouvrir la cérémonie, un chant en langue algonquine est professé, accompagné du rythme des tambours traditionnels. À la suite de cette inauguration, chacun pourra s’exprimer dès lors qu’il aura en main le bâton de parole, un petit sceptre de bois orné d’une patte d’aigle, de poils et de tissus colorés. Plus tard, une aile d’aigle circulera également en guise de bâton de parole.

Je m’aperçois que le cercle fonctionne comme un rendez-vous chez le psychologue : chacun exprime ses doutes, ses peurs, ses souffrances, mais aussi ses petites joies. Il s’agit d’une parole sans retour : chacun se confie tandis que les autres écoutent attentivement. Quelquefois, des chants ancestraux retentissent. 

Les prises de parole me permettent de mieux envisager les problématiques du peuple algonquin, dans ce Nouveau Monde où on les a privés d’une grande partie des leurs, mais aussi de leurs richesses et de leur identité.

Addictions à la drogue et à l’alcool, problèmes psychologiques, grand nombre de suicides mais aussi de morts prématurées à cause de ces conditions de vie … Quels que soient les âges des participants, tous ont malheureusement vécu des expériences similaires. 

Louisa, la doyenne de la cérémonie

La prise de parole de la doyenne, Louisa, nous éclaire, nous allochtones, sur l’Histoire moderne et contemporaine des Premières Nations. En effet, Louisa a été placée enfant dans un pensionnat pour Autochtones. Les cours réguliers n’y étaient souvent qu’un prétexte pour priver les jeunes algonquins de leur culture : on changeait leurs prénoms originels par des noms français, il y était interdit de parler leur langue maternelle, on coupait leurs longues coiffures traditionnelles … De leur esprit ou de leur apparence, par des rapports de force psychologique ou parfois même physique, on leur ôtait tout ce qui en eux était « indien ».

J’apprendrai quelques mois plus tard, en discutant avec un autochtone Guyanais du peuple kali’na, Louis, que ces internats existaient également dans la Caraïbe. 

On était allé chercher Louis enfant dans la forêt amazonienne; on était allé chercher Louisa enfant dans la forêt boréale.

Wabinok, le benjamin du cercle

Les confessions de l’adolescent Wabinok permettent quant à elles de mieux comprendre les histoires actuelles des populations autochtones, de mieux envisager ces histoires personnelles qui formeront, mises bout à bout, la grande Histoire.

Âgé de quinze ans seulement, l’adolescent raconte son parcours tempétueux à travers l’alcool et la drogue. En effet, ces substances agissent sur les villages autochtones comme de véritables fléaux et touchent des familles entières. Bien que la plupart des villages soient maintenant des « dry zones », c’est-à-dire des « zones sèches » où il est interdit de faire entrer de l’alcool, la boisson est importée des grandes villes. Quant aux drogues, leur prix bas et leur facilité d’accès les rendent omniprésentes. Invitée plus tard dans une petite ville québécoise populaire, je constaterai des usages similaires de drogues dures.

Revenons-en à Wabinok. Il est très fier d’avoir arrêté l’alcool et la drogue, et ce depuis un an. Il connaît ses dates de sevrages par cœur et maintient une attention constante pour ne pas rechuter. Il investit maintenant son temps et son énergie dans la transmission de sa culture, en participant à des échanges culturels comme ici, en allant danser dans des festivals autochtones appelés « pow-wow » ou bien tout simplement en allant vivre quelques jours dans la forêt boréale en communauté. Il a également choisi d’endosser un rôle de vigilance envers ses camarades et amis, qu’il s’agisse de la consommation de substances ou de prévention des suicides. « Maintenant, dès que je vois quelqu’un qui prononce ou écrit le mot « suicide », j’appelle les autorités, directement ».

Vers d’autres aventures

Vient le chant de clôture, accompagné des palpitations des tambours et des fumées du feu central et des calumets. Chacun fait le tour du cercle, fait un câlin à chacun de ses membres en prononçant « Meegwitch », « merci ». Un moment de toute solennité – et de toute gêne personnelle aussi car, en road-trip depuis plusieurs jours, cela fait un moment que mes vêtements n’ont pas été lavés … mon pull de laine sent la forêt, le bivouac, le feu de bois, mais aussi et par-dessus tout la transpiration! 

Donald nous donne rendez-vous deux jours plus tard pour la cérémonie spirituelle de sudation … ouf, je suis déjà dans le thème.

[A suivre… ]


En attendant la suite qui sortira le 27 juin (en parallèle de mon portfolio sur la galerie temporaire de VETC), vous pouvez découvrir mon travail photographique sur mon compte Instagram!

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