Par Isabelle Mégard-Navarro
Aujourd’hui, j’ai été reçue en privé par le vénérable Général Sherman en personne. Quelle présence ! Quelle stature ! Quelle masse ! Pas moins de 1486 mètres cubes, ce qui fait de ce cher arbre le plus volumineux au monde. Mais peut-être êtes-vous quelque peu perdu∙e. Car non, il ne s’agit pas à proprement parler d’un vieux soldat, mais bien d’un arbre remarquable hors normes! Alors, laissez-moi reprendre depuis le début.
Un tête-à-tête qui se mérite
Pour fêter l’arrivée du printemps, j’ai décidé de passer une semaine en Californie et de découvrir certains des parcs nationaux de cet État américain, notamment le Sequoia National Park. Celui-ci est réputé pour sa forêt de séquoias géants qui, je ne vous le cache pas, se mérite. Car depuis le Foothills visitor center, situé à l’entrée sud du parc, il faut parcourir plus de 27 kilomètres d’une route de montagne aux lacets bien serrés. On l’appelle la Generals Highway, ce qui se comprend sans peine quand on sait qu’elle mène au fameux Général. Les épingles à cheveux s’enchaînent sans cesse, aussi je recommande aux personnes sujettes au mal des transports d’avaler leur traitement préféré avant de commencer le périple! Tout autour de cette route se trouvent des sommets enneigés, dont les Castle Rocks. Ces formations rocheuses se dressent majestueusement dans le paysage, évoquant des châteaux ancestraux avec leurs crêtes effilées que l’on pourrait comparer à des sentinelles pétrifiées, et leurs parois abruptes sculptées par les éléments au fil des millénaires. Ces montagnes ne sont pas les seules à être spectaculaires puisque des rochers de taille XXL les côtoient (dont Moro Rock, un colosse de plus de 2000 mètres de haut). Comment ne pas être saisi∙e et émerveillé∙e par une telle nature face à laquelle on se sent si petit∙e !
Un Général bien entouré
C’est donc après un dénivelé d’environ 1500 mètres et une chute des températures de près de 15 degrés qu’on atteint le parking menant au Général Sherman. En fait, il y en a deux, mais en basse saison, un seul est ouvert. Une fois la voiture garée, il ne reste plus que quelques mètres à franchir pour découvrir ce colosse de bois, en empruntant un sentier balisé et facilement accessible à tous les visiteurs. Néanmoins, pour être accepté∙e en sa présence, il est de bon ton de saluer en premier lieu sa garde rapprochée composée de certains de ses plus fidèles lieutenants. Il s’agit de congénères aux proportions moindres, mais néanmoins parés à faire face à toutes les menaces. Ces derniers, se tenant bien droits, l’entourent de près tout en lui laissant l’espace nécessaire à son développement. Dans leur habit rouge-brun, aucun ne semble gêné par le tapis de neige déplié à leurs pieds par l’hiver qui s’achève.
Les tactiques secrètes du Général
Dès mon arrivée face au Général Sherman, je suis émerveillée par sa superbe. Je le prie alors de bien vouloir me parler de lui et surtout de son secret, celui qui lui a permis de devenir ce qu’il est : un géant. Sans surprise, au cours de cette conversation silencieuse, il est question de stratégie. Il m’indique en effet qu’il a dû élaborer certaines tactiques pour assurer sa croissance, pour survivre et prospérer dans son environnement. Ainsi, j’apprends que ses racines peu profondes sont situées à seulement quelques mètres sous la surface. Mais leur secret, c’est qu’elles s’étendent sur une superficie pouvant représenter deux à trois fois la hauteur de l’arbre. Elles sont des troupes de soutien indispensables à sa stabilité. Quant à son tronc, il assure le commandement central en lui fournissant sa structure globale et en définissant, pour l’ensemble de son être, la direction à prendre. Il est aidé pour ce faire par son écorce, une armure le protégeant contre les éléments et les prédateurs. Une fois ces précisions apportées, il rend hommage à ses branches qui, comme toute unité de combat qui se respecte, se sont constamment déployées pour atteindre de nouveaux objectifs et de nouveaux records. Enfin, il reconnaît que rien n’aurait été possible sans sa sève, sa principale source de ravitaillement. Ce n’est qu’ensuite qu’il consent à me révéler sa plus grande fierté : son titre d’organisme vivant le plus imposant au monde. Il a conscience de ne pas être le plus haut, ni le plus large, ni même le plus vieux séquoia de la planète, mais il ne désespère pas, car il est toujours en croissance !
Un matricule impressionnant
À ces mots, j’avoue être restée pantoise. Cependant, il m’a fallu me remettre rapidement puisque, n’étant pas la seule à vouloir m’entretenir avec le Général, j’ai dû le quitter non sans avoir réussi à lui soutirer quelques informations supplémentaires concernant son matricule:
- hauteur: 83,8 mètres;
- circonférence à sa base: 31,3 mètres;
- poids estimé: plus de 1250 tonnes;
- âge estimé: 2200 ans;
- circonférence de sa plus grosse branche: plus de 2 mètres;
- branche la plus basse située à plus de 38 mètres du sol.
Et là encore, je n’ai pu qu’être ébahie ! J’avoue même avoir dû vérifier ces chiffres auprès des rangers du parc national tant cela me paraissait incroyable. Un général d’un âge aussi vénérable n’aurait-il pas tendance à chercher à exagérer ses forces pour garder le contrôle ?
Un nom historique
De retour à mon motel, je me suis aperçu que je ne lui avais pas demandé pourquoi il s’appelait « Général Sherman ». J’ai donc fait une petite recherche sur le Web qui m’a permis de comprendre que si un certain nombre d’arbres remarquables aux États-Unis portent le nom de militaires, c’est parce que l’exploration des forêts américaines a commencé après la guerre de Sécession.
Sur ces dernières trouvailles, je me suis couchée en pensant aux grandes batailles qu’a dû livrer – et que doit encore livrer – ce vaillant Général. J’ai pensé à tous les incendies auxquels il a dû résister, à tous les insectes (notamment aux charançons et aux coléoptères), aux maladies fongiques qu’il a dû affronter… Tous ces ennemis imprévus qui ont certainement tenté au fil des siècles de l’affaiblir! Sans oublier qu’il lui faut affronter, de nos jours, un flux incessant des visiteurs, la pollution atmosphérique, les changements climatiques et environnementaux… Lui, mieux que personne, sait que gagner une bataille ne signifie pas gagner la guerre de la longévité ! Respect!
À bientôt pour le récit d’une nouvelle aventure!
Si vous voulez en savoir plus sur le parc abritant ce géant de bois, je vous conseille de naviguer sur le site Internet des parcs nationaux américains : https://www.nps.gov/seki/
Envie de découvrir un autre géant du bout du monde? > Les secrets du figuier des banians du Mendut en Indonésie , par Geneviève Laudet.
Une réponse
TRès bel et INTÉRESSANT Article !