par Aurore Blanc
En 1942, l’affectation de l’abbé Gillard dans la toute petite paroisse de Tréhorenteuc sonne comme une mise au ban à peine voilée. Pour lui, toutes les spiritualités ont des racines communes. Or ses idées poliment qualifiées d’ « originales » en son temps ne plaisent pas à tout le monde. Qu’à cela ne tienne : l’abbé retrousse ses manches et décide de re décorer l’église Sainte-Onenne en liant foi et mythes. Son projet : utiliser les représentations locales liées à la légende arthurienne pour mettre en valeur l’Évangile. Il s’netoure de l’ébéniste Péter Wissdorf et du peintre Karl Rezabeck (deux prisonnier de guerre allemands qu’il accueille en 1945). Ensemble, ils s’attellent pendant une douzaine d’années à la rénovation et à la décoration du petit édifice de schiste pourpre datant du XIIe siècle. L’espace intérieur est si restreint que beaucoup en font le tour en quelques minutes. Pourtant, l’église du Graal foisonne de secrets et de symboles cachés. La plupart sont liés à la légende arthurienne, aux croyances celtes et au christianisme. Alors à vous de jouer!
Jeu de piste
Si vous êtes sur place, et avant de lire cet article, saurez-vous retrouver lors de votre visite les éléments suivants ?
- Cinq représentations du Graal
- Le roi Arthur
- Le chevalier Yvain
- Deux représentations de la fée Morgane
- Deux représentations de la fontaine de Barenton
- Deux dragons
- La fée Viviane
- Un majestueux cerf blanc
- Quatre lions rouges
- Deux lapins
- Une queue de poisson (mosaïque)
- Une tête de bélier (mosaïque)
- Les 12 signes du zodiaque
- La statue de l’abbé Gillard
5 représentations du Graal
Le Graal (cette coupe sacrée dans laquelle Joseph d’Arimathie aurait recueilli le sang du Christ avant sa mort sur la croix) est incontestablement le nœud de toute la légende arthurienne. Arthur, missionné par la fée Viviane, réunit autour de la Table Ronde les plus valeureux chevaliers de son temps. Ensemble, ils se lancent dans la quête cette relique sacrée. Il n’est pas étonnant qu’il soit aussi présent dans la chapelle à laquelle il a donné son surnom. Au centre du grand vitrail, bien sûr, mais aussi sur les deux vitraux latéraux du chœur. Une belle mosaïque au sol devant l’autel nous le révèle également dans toute sa splendeur, ainsi qu’une broderie sur une tenture dans l’alcôve de gauche.
Chevaliers et lieux mythiques
Arthur
Le roi Arthur, personnage central de l’ensemble de récits liés au Graal, trône en majesté sur un petit vitrail à droite du grand vitrail central. Entouré de ses chevaliers, il renvoie directement à la Cène, représentation du dernier repas du Christ qui lui fait face dans le vitrail opposé.
Yvain
Yvain, dit le Chevalier au Lion, est connu pour être le premier à défaire le terrible chevalier noir, gardien de la Fontaine de Barenton. Sur le tableau à gauche du grand vitrail, il est représenté en train de verser de l’eau sur le perron de ladite fontaine. Cette source magique se retrouve aussi de manière plus symbolique sous la forme d’un croissant de lune sur la grande mosaïque du fond de la chapelle, jouxtée de la fameuse pierre rouge qui représente son perron.
Les fées de Brocéliande
La fée Morgane
Que serait cette forêt de légende sans ses célèbres fées ? Les deux représentations de la fée Morgane, vêtue d’une robe rouge qui laisse visibles ses bras et sa poitrine, a bien sûr fait scandale. « À Tréhorenteuc, une pin-up dans un chemin de croix », titra un journal local à l’époque. Et pourtant, on la retrouve ici à deux reprises : sur la peinture à droite du grand vitrail, et à la 9e station du chemin de croix du Christ où elle remplace la prostituée Marie-Madeleine. Morgane est une figure ambivalente et passionnante de la légende arthurienne. Demi-sœur et amante d’Arthur dans certaines versions, elle est surtout perçue comme une magicienne implacable et sans cœur. Mais si l’on creuse un peu, on découvre aussi le visage d’une femme sensible, cruellement trahie par les hommes en lesquels elle avait placé sa confiance. C’est à elle que l’on doit la légende du Val Sans Retour dans lequel elle emprisonna un amant qui lui avait préféré une autre femme.
La fée Viviane
Une autre fée plus lumineuse (Viviane, la Dame du Lac en plein enchantement) est peinte de manière très suggestive sur le tableau à gauche du grand vitrail. Sa poitrine apparaît sans fausse pudeur à travers le voile doré qui enveloppe son corps majestueusement dressé.
Monstres et animaux mystérieux
Le cerf et les lions
Il est impossible de manquer la célèbre mosaïque qui orne le fond de l’église du Graal. Elle fut réalisée sur commande par les ateliers Odorico. Une première lecture laisse évidemment à penser que le majestueux cerf blanc portant une croix en sautoir est une représentation du Christ. Mais c’est aussi une forme chère à l’enchanteur Merlin, ainsi qu’au dieu celte Cernunnos. Ce cerf blanc entouré de lions rouges, c’est également le contenu d’une vision du chevalier Galaad dans la Quête du Graal. Ici, les quatre félins figurent de manière explicite (quoi qu’insolite) les quatre évangélistes du Nouveau testament chrétien. Cette mosaïque offre à elle seule un bel exemple de syncrétisme entre mythes, croyances et religions, tel que le concevait l’abbé Gillars.
Les dragons
Autre représentation merveilleuse inhabituelle dans une église : sur les ordres de la terrible fée Morgane, deux dragons s’affrontent sur le tableau à droite du grand vitrail. Ces êtres puissants issus d’un autre âge traversent bien des mythes. Vous pourrez en apprendre plus sur leur symbolique en lisant notre article sur le dragon de l’île de Batz.
Le lapin chuchotteur
En dehors de celles qui symbolisent habituellement les évangélistes (le taureau, l’aigle et le lion), les représentations animales sont plutôt rares sur les vitraux religieux. C’est pourquoi l’un des détails insolites que je préfère est le lapin jaune. On le trouve en bas à gauche du grand vitrail qui semble chuchoter un secret à son comparse au pelage rouge.
Le bélier et le poisson
Deux mosaïques cachées tout au fond de la chapelle représentent mutuellement la tête d’un bélier et la queue d’un poisson. Le poisson était un symbole secret de ralliement à l’époque des martyres chrétiens dans l’Empire romain. Quant au bélier,c’est l’une des manières de représenter le Christ, à l’instar de l’agneau. Ici, selon les écrits de l’abbé Gillard, ils symbolisent le début et la fin de tout, l’Alpha et l’Oméga entourant le lieu du baptême.
D’autres mystères…
La statue de l’abbé Gillard
Concernant la belle statue en bronze de l’abbé Gillard, j’avoue avoir été vache sur ce coup-là! Vous ne la trouverez nulle part. En effet, elle a mystérieusement disparu dans la nuit du 18 au 19 mai 2021. Un vol non-élucidé qui en dit long sur ce que représente localement l’abbé : il fallait avoir de drôles de motivations pour voler cette œuvre de plus de 150 kg. Jusque là, elle se dressait sur le promontoire rocheux en face de l’entrée latérale de la chapelle.
Les reliques de Sainte-Onenne
L’inscription figurant sur le devant de l’autel indique que le corps de Sainte-Onenne ( patronne des lieux) reposerait sous l’église qui porte son nom. Vous y trouverez plusieurs images qui témoignent de sa vie et de ses choix radicaux . Refusant l’héritage de son frère, le roi Judicaël, elle aurait choisi de vivre à Téhorenteuc et aurait reçu un baiser de la Vierge Marie après lui avoir offert des fleurs.
Le vitrail du zodiaque
Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin. Dans la sacristie, à gauche du grand vitrail, on peut apercevoir à travers une petite fenêtre un magnifique vitrail rond représentant les 12 signes du zodiaque, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. J’ai pu constater que la plupart des gens ne remarquaient pas ce petit chef-d’œuvre. Il est pourtant un témoin caché du goût de l’abbé Gillard pour des sujets peu conventionnels au sein de l’Église. Mais vous, vous ne passerez pas à côté sans le voir !
À présent, vous connaissez de nombreux symboles cachés de l’Église du Graal. Avez-vous réussi à les trouver sur place? Vous a-t-elle révélé tous ses secrets ? Elle en cache bien d’autres encore. Pour preuve: sa renommée prit tant d’ampleur qu’André Breton, chef de file du surréalisme, vint la visiter en personne ! J’espère en tout cas vous avoir fait partager la joie espiègle que j’ai éprouvée en ce jour glacial de janvier où, les doigts engourdis par le froid, j’ai décidé de mener l’enquête mon petit carnet à la main… À bientôt pour de nouvelles aventures en Brocéliande !
Localisation et informations
Eglise Saint Onenne – 56430 Tréhorenteuc
GRATUIT ! Visites libres de novembre à janvier, de 10h à 16h45 en février, mars et octobre. De 10h à 17h le reste de l’année. Visites guidées sur rendez-vous les mercredis d’avril à Octobre à 10h.
Office du tourisme de Tréhorenteuc : 02 97 22 36 43
Sources et références
Site de l’Office du tourisme de Brocéliande
Sur l’histoire du controversé abbé Gillard : https://broceliande.guide/L-eglise-de-l-abbe-Gillard Le guide la Bretagne insolite et mystérieuse, Béatrice Magon, Editions Christine Bonneton (2008)