Par Aurore Blanc
« Objets de culte ou source de curiosité, [l]es arbres remarquables façonnent notre territoire autant qu’ils contribuent à notre identité et participent à notre imaginaire collectif. Peut-on rester indifférent lorsqu’on touche l’écorce d’un arbre vieux de 500 ans ? » Nicolas Hulot1.
Un geste pas si anodin
Sur le terrain qui jouxte notre jolie ferme mordelaise, il y a un vieux chêne auquel je rends souvent visite quand j’ai besoin de me ressourcer. Oui, depuis que je m’intéresse aux arbres remarquables, j’ai tendance à me sentir mue par une irrépressible envie de poser mes mains sur leur écorce qui s’apparente presque à de la roche. Et, je l’avoue, je me cache toujours derrière leur tronc massif pour accomplir ce qui est devenu pour moi un petit rituel. Qui sait ce que pourraient penser les gens qui passent sur la route toute proche ? Au-delà de la peur du jugement d’autrui, cela me permet aussi de m’interroger sur la pudeur qui enveloppe ce geste en apparence si simple. Il y a dans le fait de toucher un vieil arbre une dimension quasi mystique. Le contempler ne me suffit pas. J’imagine toujours qu’il a un message secret à me transmettre. Peut-être le capterai-je un jour ?
Les arbres remarquables m’impressionnent, sans jamais m’oppresser. Je m’amuse souvent à essayer de deviner l’âge de ceux qui m’entourent au quotidien. C’est d’abord la circonférence du tronc qui constitue un indicateur fiable. Plus elle est importante, plus l’arbre est vieux, bien sûr. La hauteur des ramures en revanche est piégeuse : j’ai pu constater que les vieux chênes, comme les humains, ont tendance à se tasser avec l’âge.
Difficile d’estimer celui de « mon » chêne au tronc large mais aux branches si hautes. Alors, je pars volontiers en quête de ceux qui ont déjà été identifiés et sur lesquels je peux trouver de plus amples informations…
La légende de la vache perchée
Le vendredi 22 juillet 2022, en route pour aller visiter le temple bouddhique de Plouray, je fais une halte dans le petit village de Rosterc’h pour rencontrer les deux spécimens qui s’y trouvent. Labellisés Arbres Remarquables au début des années 2000, ils continuent à attirer les curieux.ses de mon espèce et constituent une étape incontournable de plusieurs circuits de randonnée locaux.2
Le premier chêne que l’on aperçoit en se garant semble déjà immense. Les spécialistes lui donnent entre 300 et 600 ans. Sa base s’ouvre en une petite cavité dans laquelle je me glisse avec délice, savourant ce plaisir espiègle propre aux jeux de cache-cache. Une immense cheminée monte de la base du tronc jusqu’à ses ramures, et j’aperçois les rayons du soleil qui forment un étonnant puits de lumière depuis son sommet.
50 mètres plus bas, en descendant un peu le long des habitations, je tombe nez à nez avec le second chêne. Si le premier était un colosse, celui-ci est littéralement un géant. Il se situe en revanche à l’entrée d’un terrain privé, et j’hésite à m’avancer. De petits drapeaux tibétains tendus depuis ses branches basses jusqu’à la clôture flottent au vent, lui conférant une aura de sagesse plus profonde encore… Je ne peux pas résister, et tant pis pour la bienséance ! Je m’avance et en fais le tour.
Estimé autour de 500 ans (800 selon certaines sources), son tronc est lui aussi entièrement creux. Une légende locale du XXème siècle raconte d’ailleurs qu’une génisse au moins aussi curieuse que moi s’y serait retrouvée piégée ! Il aurait fallu agrandir l’ouverture pour l’en faire sortir.
500 ans et des poussières… J’ai du mal à imaginer ce que cela représente. A quoi pouvait bien ressembler cet endroit à la Renaissance ou sous le Roi Soleil ? Les arbres remarquables ont aussi cette incroyable faculté à nous faire voyager dans le temps, pour peu qu’on fasse un petit effort d’imagination (et qu’on ait gardé les yeux ouverts en cours d’Histoire, ce qui ne fut pas toujours mon cas, je dois bien l’admettre).
De la bêtise humaine…
Outre l’aspect monumental de ce vénérable ancêtre et les vertigineuses questions temporelles qu’il m’évoque, les traces évidentes de feu qui tapissent sa cavité m’interpellent. Le contraste entre l’aspect extérieur d’une majesté sublime et celui de l’intérieur noirci par les flammes me fend le cœur. Ce second chêne en particulier me fait penser à un vieux roi drapé avec faste, mais rongé en silence par une maladie incurable.
De rapides recherches m’apprennent que les deux arbres remarquables de Rosterc’h ont été volontairement incendiés en 2016 (on a retrouvé du papier journal noirci au sein de leur tronc). Fort heureusement, les pompiers, alertés par une riveraine, ont pu intervenir à temps pour limiter les dégâts. Mais les flammes qui ont attaqué le plus vieux des deux spécimens durant plus de 7 heures3 ont tout de même fait des ravages. L’intérieur de son tronc couvert de suie ressemble à présent à un triste donjon qui aurait subi une attaque déloyale.
Qu’est-ce qui a bien pu pousser un être humain à vouloir faire flamber ces stoïques gardiens à la magnificence sans pareille? Cet acte dépasse mon entendement, et je choisis de ne pas m’attarder sur leurs blessures afin de pouvoir les contempler de l’extérieur en toute quiétude. La vitalité de leurs ramures laisse à penser qu’ils ont encore de belles années devant eux. Un jour peut-être, dans 10 ou dans 100 ans, des enfants curieux s’amuseront-ils à leur tour à se lover au creux de leurs immenses corps. Et c’est l’image que je choisis d’en garder, un soupir au cœur et un sourire aux lèvres, en reprenant ma route en quête d’autres merveilles.
Sources
1- Préface du livre Arbres remarquables d’Ille-et-Vilaine, Yannick Morhand, Guy Bernard et Mickaël Jézégou, éditions Locus Solus (2021)
2- Circuit de randonnée des chênes de Plouray
3- Article Ouest France sur l’incendie des chênes de Rosterc’h