Par Aya Gogishvili
Automne 2022. Notre premier voyage en Géorgie est déjà bien entamé. Je me sens déjà comme chez moi au sein de ce petit bout de terre tourmenté à l’énergie si particulière. Si je devais mentionner une chose qui m’a marquée ici, c’est la nature. Beaucoup d’espaces naturels sont laissés en friche, et rayonnent d’une beauté brute et intouchée. C’est une atmosphère si différente de la France que je connais ! Et ce fut un bonheur de pouvoir goûter à ses richesses en terre slave.
Un joli jour de novembre baigné par le soleil, nous sommes partis visiter la Grotte de Prométhée. Située dans la région d’Iméréthie, près du village de Tskhaltubo, elle a été nommée ainsi parce que la légende qui raconte le châtiment du Titan éponyme se serait déroulée non loin. Le gouvernement géorgien a installé des spots colorés à divers endroits de la grotte pour sublimer son aspect mystérieux et a joué sur la renommée de la légende antique pour attirer les touristes. Même si de telles initiatives sont pour moi superflues dans un site naturel qui se suffit à lui-même, j’étais curieuse de découvrir la grotte.
Après avoir garé la voiture, nous marchons un peu dans le village, et nous faisons héler par deux vieilles femmes : l’une vend des jus de grenade pressés, l’autre des bracelets de jais authentiques. A l’heure où j’écris ces lignes, je porte ces pierres à mon poignet. Je l’ai appris ce jour-là, dans les pays de l’Est il existe une tradition liée à cette pierre. Connue pour ses vertus de protection, on avait pour habitude d’en offrir une aux enfants pour leur éviter le mauvais œil. Était-ce un signe ? Quoi qu’il en soit, je pense que nous avons bien fait de nous en procurer avant notre visite de la grotte…
Après avoir acheté les billets, nous nous joignons à un groupe qui s’apprête à suivre un guide. Je discute avec deux touristes suisses en descendant le grand escalier en métal qui mène vers l’entrée de la grotte de Prométhée, et je découvre l’ouverture béante dans la pierre, envahie par la végétation. Deux pensées me viennent alors. La première pour les explorateurs qui ont découvert l’immense complexe souterrain dont nous ne verrons qu’une petite partie. L’inconnu… Quel sentiment fabuleux ! La seconde, pour l’aventure qu’a vécu la Communauté de l’Anneau dans les Mines de la Moria. Décidément, ce voyage m’aura souvent ramenée aux souvenirs de mes films préférés.
Selon les croyances et pratiques dont je suis les préceptes, lorsqu’on entre pour la première fois dans un lieu, il faut se présenter. Je respecte scrupuleusement cette règle, surtout dans les sites naturels d’exception comme les cairns et autres dolmens, grottes ou forêts anciennes. Ce genre de lieu abrite très souvent des esprits, gardiens ou non. C’est une question de bon sens et de respect : lorsqu’on veut entrer dans une maison inconnue, on frappe toujours au préalable. Dans le monde invisible, c’est pareil. Avant de passer l’entrée de la grotte, je me présente et annonce mes intentions. Puis je suis le groupe qui s’engouffre dans les profondeurs.
Je ressens tout de suite une atmosphère particulière. J’écoute peu notre guide, tant je suis absorbée par la contemplation de la pierre. Plus nous avançons, plus cette énergie que je ressens devient prégnante. Forte. Oppressante. Je commence à ressentir des yeux qui nous regardent. Je comprends que la grotte de Prométhée est habitée par des esprits très anciens, voire primordiaux. Et ceux-ci ne voient pas d’un très bon œil notre présence. De mon côté, j’apprécie finalement les spots de couleurs qui habillent la pierre. Ils donnent un aspect fantastique aux paysages rencontrés, et appellent à la rêverie. Nous nous arrêtons dans une première salle. Les stalactites et stalagmites forment une dentelle fabuleuse, on croirait observer des monstres sortis d’un roman de Lovecraft. Je suis à la fois émerveillée … et sur mes gardes.
Je regarde derrière nous, et j’aperçois un esprit qui nous suit. Il a une forme longiligne, des bras et jambes très longs et une tête blanchâtre sans visage, un peu comme le Slenderman des légendes urbaines. Je comprends que c’est un gardien des lieux, qui est ici pour nous surveiller. Je formule mes prières de protection, et lorsque nous repartons, je me place instinctivement à l’arrière du groupe. Je laisse mon mari et mon fils passer devant moi. Je préfère les protéger si jamais il se passe quelque chose. Nous ne sommes pas seuls ici, et clairement pas les bienvenus. Les habitants de la grotte auraient préféré rester dans leur quiétude originelle. La présence des humains les dérangent.
Nous continuons notre visite, mais je sens que la présence silencieuse nous suit à distance. Les créations de l’érosion sur la roche sont absolument sublimes. Essayant de faire fi de mes pressentiments, je laisse aller mon imagination à la contemplation, et prends quelques photos. On croirait voir des nains, des créatures inconnues, tout droit sorties d’un livre de contes… J’aperçois une stalactite ressemblant à Cthulhu, comme si les Grands Anciens de l’univers de Lovecraft habitaient les profondeurs de cette terre. Non loin, une cascade est figée dans le minéral. La multitude de détails à découvrir est incroyable, mais je ne m’abandonne pas totalement à la rêverie. La forme blanche nous suit toujours, d’un pas mesuré et léger.
Nous arrivons finalement à la Salle de l’Amour. C’est alors que je suis surprise par une puissante énergie vindicative. Je me retrouve face à plusieurs formes grimaçantes et sursaute alors que l’une d’entre elles me saute au visage. Cela n’ira pas plus loin, les intentions de ces esprits étant surtout de me faire peur. Mais c’est réussi ! Je les vois grimacer, je me sens très oppressée ici. Zaza m’a vue faire un bond, et me demande si je vais bien. Je lui réponds rapidement que ça va et prends mon fils dans mes bras pour le serrer contre moi. J’ai hâte de quitter cet endroit. Instinctivement, je jette un coup d’œil pour voir si les esprits agressifs sont toujours là. Trois sont encore campés autour d’une roche à l’aspect dégoulinant, me narguant avec un sourire narquois.
Nous repartons finalement après un petit speech de notre guide, pour nous diriger petit à petit vers la sortie de la Grotte de Prométhée. Je formule une nouvelle fois mes prières de protection en marchant peu à peu vers le soleil, même si je sais que rien ne nous suivra. Les esprits des profondeurs veulent simplement nous faire fuir. Ils peuvent de nouveau être en paix, débarrassés de la présence des humains… Jusqu’à la prochaine visite guidée! Je suis soulagée de ne plus sentir cette oppression.
Depuis mon enfance, j’ai eu l’occasion de découvrir des lieux plus ou moins bénéfiques, voire franchement hantés. Mais cette expérience impressionnante constitue ma première rencontre avec des esprits aussi anciens et agressifs. C’est aussi l’une des rares fois où j’ai senti des forces qui me dépassaient, avec qui le dialogue était absolument impossible, et contre lesquelles je n’aurais rien pu faire s’il s’était passé quelque chose. Cette rencontre me le rappelle encore une fois : il existe une vie au-delà de ce que voient nos yeux d’humains. Elle se cache toujours aux quatre coins du monde, surtout là où la nature a encore ses droits. Et qui sait quels autres esprits vieux comme le monde sont nichés dans les profondeurs de la grotte de Prométhée…