Par Warlotte, conteuse aigre-douce
Été 2016, période bénie, ensoleillée, encore épargnée par les inondations, guerres et sécheresses qui ponctuent aujourd’hui notre quotidien estival. C’est le meilleur moment pour partir en vacances, profiter du soleil, voyager à gogo.
En 2016 comme aujourd’hui, hors de question pour moi de suivre la masse touristique des « juillettistes » ou des « aoûtiens ». J’aime pas beaucoup les gens, je les aime encore moins quand ils sont en vacances. Puisque les reculs sociaux ne nous épargnaient déjà pas, mon printemps 2016 serait composé de nuits debout et de manifs sauvages et l’été serait rythmé par ce qu’il en resterait. Les vacances, on verrait plus tard. Quitte à ne rien faire comme tout le monde …
Il y a pourtant bien une destination dont on rêve : L’Islande.
Le meilleur moment pour visiter l’île ? Le printemps : les rares plantes sauvages qui poussent à fleur de roche, qui colorent la pierre noire des volcans siestant, le retour de la lumière si particulière de l’île aux macareux : tout y est plus beau. Le pire moment pour visiter l’île ? L’hiver : rude et sombre, froid, pluvieux et venteux, avec ses tempêtes de neige, de grêle, son soleil absent, ses islandais hibernant, ses routes inaccessibles. C’est décidé, on passera l’hiver là-bas. Au passage, on en profitera pour esquiver les traditionnelles fêtes de fin d’année et leurs obligations familiales et on tentera d’attraper au vol quelques belles aurores boréales qui – faute de soleil – illuminent parfois le ciel hivernal islandais. Un seul plan pour ce voyage : IM-PRO-VI-SER. On a peu d’argent, alors soit on trouve du boulot sur place, soit on trouve un woofing pour ne pas trop dépenser.
Novembre 2016. Après un vol agité passé à apprendre comment prononcer correctement le mot « Eyjafjallajökull », on arrive enfin à Reykjavík pour commencer notre aventure. On se laisse quelques jours pour découvrir la capitale et on décolle en stop vers le sud de l’Islande à la recherche d’un woofing. Ça se présente mal, toutes nos candidatures restent sans réponses, notre budget est de plus en plus serré et on n’a aucun plan en vue. Tant pis, on prend un AirBnb pour ce soir et on verra bien !
Un logement particulièrement peu coûteux au sud de l’île (Selfoss) retient notre attention. « The Spirit Farm ». Ferme spirituelle, espace collectif, la description du lieu hurle à nos oreilles « Bienvenue chez les fous ». Ils ont l’air étranges. On réserve pour la nuit.
Après un court périple en stop sous un début de tempête, glacés par le froid sec mais rapidement réchauffés par l’accueil islandais, on arrive à l’adresse indiquée : cette étrange ferme sans animaux, en plein milieu de nulle part … avec un immense feu brûlant à l’arrière et tout autour, des gens en slip de bain qui chantent sous -2°C. Ça commence bien.
C’est dans cette grande ferme typiquement islandaise reconvertie en lieu collectif que nous sommes accueillis par 1, puis 2, 3, 4, 5 personnes et puis une multitude de gens en slip. Difficile de s’y retrouver, la maison est remplie et fourmille de discussions incompréhensibles. Quelques heures plus tard, les gens en slip se rhabillent et s’éclipsent petit à petit, on comprends enfin où nous sommes tombés. Nous sommes arrivés en plein milieu d’une « Sweat Lodge Ceremony », une cérémonie rituelle dans une tente de sudation inspirée des cultures amérindiennes, cérémonie organisée ici une fois par mois.
On discute, on découvre, et après des heures de discussion dans un anglais parfois approximatif, on réalise que l’une de nos interlocutrices parle parfaitement le français (je ne peux m’empêcher d’être flattée de n’avoir pas été trahie par mon accent avant cela). Elle est Québécoise et volontaire ici depuis quelques mois.
« Ah, vous cherchez un woofing ? C’est pour ça que je suis arrivée ici. Justement, on a un couple de volontaires qui devaient se pointer aujourd’hui, et ils sont jamais venus. Du coup, on a une chambre de libre, vous la voulez ? »
La journée se termine ainsi : mission accomplie, trop facile. On déménage dans la chambre du bas et je remets en question mes certitudes concernant le fait que tout est un hasard et que les esprits n’existent pas.
A la Spirit Farm on vit la belle vie, on se fait des copains, on découvre le rythme islandais hivernal qui consiste à en faire le moins possible, et ça nous plaît.
Là-bas, on rencontre un autre volontaire hollandais, on lui parle de notre projet de passer les fêtes à Reykjavík pour profiter de l’ambiance qui y règne, mais impossible de louer à cette période pour moins de 150€ la nuit. Il nous parle de son ex qui vit dans le centre de Reykjavík. Elle s’est mariée à un nounours métalleux membre de l’Althing1 et député du parti pirate2 : on est impressionnés par le CV.
Ils cherchent quelqu’un pour garder leur maison pendant les fêtes et …s’occuper des chatons qui viennent d’y naître ! Bien qu’accrochée à ma rationalité à toute épreuve, je commence vraiment à croire que cette ferme est remplie d’esprits, et qu’ils sont de la plus pure bienveillance.
C’est donc à Reykjavík qu’on passe les fêtes, qu’on fait de nouvelles rencontres, et qu’on louera plus tard une voiture pour faire le tour de l’île : un tacot avec pneus neige dans lequel on dormira presque chaque nuit de ce périple hivernal sur les traces des sagas islandaises et de leurs géant.es, guerrier.es et vengeances sanglantes et sur celles du fameux Petit Peuple. Impossible de douter de la présence de ces créatures (si respectées ici qu’on détourne des routes en leur nom) quand on voit ces petites crevasses creusées dans les roches légères et noires laissées par d’anciennes coulées de lave, comme un immense terrain de jeu pour ces petits lutins cousins des Korrigans, mes voisins bretons.
Enfin, nous reposons nos valises à la Spirit Farm pour retrouver Oli, Haukur, Mariana, Emmanuel, Stefan et les autres, sans oublier l’adorable Tito (mon premier amour canin). On y prendra racine jusqu’à la fin de notre périple, n’oubliant pas de piquer le plus souvent possible la voiture d’Oli pour des virées dans des sources chaudes, des spots plus ou moins secrets, des randonnées glissantes et des carcasses d’avions abandonnées au milieu de plages de sable noir absolument désertes, le tout entre deux Sweat Lodge, cérémonies revisitées à base de chansons célèbres de nos pays respectifs et d’effusions de joie remplaçant les « Nagawika » des pseudos shamans blancs beaucoup trop sérieux ou des gourous apathiques qui passaient par là.
Nous avons eu nos aurores boréales, nos aventures glacées, nos rencontres au coin du feu et nos sagas passionnantes tout en esquivant la plupart du temps la masse touristique qui fait vivre et ravage un peu plus l’Islande chaque année, île des paradoxes sans cesse tiraillée entre le feu et la glace. Le pari est réussi et les souvenirs restent gravés, pour le meilleur et pour le pire.
Quant aux fêtes de Noël et de la nouvelle année à Reykjavík, elles méritent un article à elles seules :
La suite au prochain épisode…
Notes : *Althing : Parlement islandais. Fondé en 930, il est le plus vieux parlement du monde.
*Parti Pirate : Après avoir mis ses banquiers et autres voyous en col blanc en prison, l’Islande voit l’ascension fulgurante du parti pirate au parlement. C’était alors le parti politique « star » dans les milieux de gauche européens. Émanant du mouvement libertaire éponyme né en Suède et en Allemagne, il fait de l’ombre au parti conservateur qui n’avait encore jamais été ainsi menacé par les urnes. Après des mois de lutte en France contre les lois travail, réduits à néant par Manuel Valls et son écrasant 49.3, cet exemple islandais m’a aidée à retrouver un peu d’espoir en la démocratie. Espoir qui fut vite mis à rude épreuve, aujourd’hui tabassé par les répétitives insultes au débat démocratique du gouvernement d’Elisabeth Borne en 2022. (Comme une envie de brûler des trucs après 8 utilisations du 49.3 en quelques mois et une volonté affichée de ne pas s’arrêter là.) Et voilà, maintenant je suis énervée.