Par Aya Gogishvili
17/07/2017
Ce matin, Charlie reste au lit. Elle a dormi quatre heures, et a besoin de se reposer. Je pars me perdre dans la vieille ville de Jérusalem. Après une demie heure de marche, j’envisage de boire un coup dans le quartier du Saint Sépulcre. Un vendeur arabe m’interpelle: « Tu veux un café? Je te l’offre! » J’accepte avec plaisir, et il me ramène un café à la cardamome. Hassan est très agréable, et j’apprécie le fait qu’il n’essaie pas de me vendre quelque chose. Nous parlons une heure environ, en fumant des cigarettes. Evidemment, la Palestine, le conflit et l’attaque récente reviennent souvent dans la conversation. « C’est de la politique, tu vois? Qu’est ce qu’on peut faire! A part vivre, bien sûr. Je ne suis pas anti-israélien, je suis un être humain comme eux. Je comprends que les militaires doivent checker la sécurité, mais ils sont tellement rudes… Je vous respecte, alors soyez poli! » L’échange est sincère, et la rencontre est belle. J’achète un veston orné de broderies palestiniennes à Hassan, et décide de ne pas marchander le prix, pour le remercier. J’apprendrai après que le vêtement a été fabriqué en Jordanie à la machine à coudre, mais je ne regrette pas mon geste. Le salaire moyen d’un palestinien est de 300€, et la vie à Jérusalem est chère…
Plus tard, au détour d’une rue, j’engage la conversation avec un vendeur d’origine israélienne, qui doit avoir mon âge. Il est assis devant son échoppe de produits religieux, un thé à la main. « Les gens ont deux visages, ici. Celui pour les touristes, et celui qui est sincère. Ils se battent tout le temps, mais au fond ce sont de bonnes personnes. » A Jérusalem, la politique est synonyme de violence. Pourtant, le coeur des gens est pacifiste, lui. Je repasse par le Mur des Lamentations, et je repars par la porte de Damas avec du zatar (un mélange d’épices arabes), de la myrrhe et du frank incense (des encens aux parfums enivrants) pour reprendre mon service. L’après-midi, avec Charlie je nettoie la tonnelle à grandes eaux pour pouvoir y dîner.
Douche, et service du soir. Je discute un peu avec Mulu, une résidente d’origine éthiopienne. Une sœur la complimente sur sa coiffure et lui dit qu’elle devrait me faire la même. Alors qu’elle part, la vieille dame me parle de ses six enfants, qu’elle a tous perdus, pour mentionner le fait que sa fille avait de très beaux cheveux. Mulu se tait, les larmes lui montent aux yeux. Elle me regarde, et ses pupilles me disent: « Puisque tu vas partir comme tous les autres, ne m’oublie pas s’il te plaît. » A haute voix, elle me demande: « Quand tu reviendras en France, tu n’oublieras pas de m’écrire une lettre? » Je promets, et l’embrasse très fort. J’ai le coeur brisé. Mulu prend un temps pour souffler, et repart avec son sourire habituel, comme si rien ne s’était passé… Le soir, nous mangeons dehors. Arack, bières, cartes, cigarettes, et rires. De quoi s’endormir le coeur léger…
21/07/2017
Ce matin, on ne travaille pas. On ne sortira pas non plus, par mesure de sécurité. C’est vendredi, et les palestiniens vont sûrement profiter du jour de prière musulman pour manifester. Les militaires s’en doutent d’ailleurs, les voitures de police et les hélicoptères quadrillent la ville depuis hier soir, et des barrages routiers ont fleuri un peu partout. Apparemment, des musulmans en prière ont été blessés Porte des Lions, et un autre a été abattu à Bethléem. Je n’en sais pas plus. L’information me vient du fils d’une de nos résidentes, Youssef, et de notre collègue Xavier. Toujours est-il qu’apparemment la prière de midi promet de nouvelles violences. Fait chier.
Du coup écriture, lecture, rédaction de cartes postales sous le figuier en attendant le repas de midi. J’espère que la situation va se tasser.
11h40 – Les hauts-parleurs des muezzin diffusent un message qui ressemble plus à un appel à la révolte qu’à la prière. Et merde.
Au repas, des explosions se font entendre. Nous sortons pour constater que des feux sont allumés aux alentours de Jérusalem, on peut voir une épaisse fumée noire s’élever à trois endroits. J’essaie de ne pas imaginer ce qui se passe dehors.
Je travaille au jardin avec Elisa l’après-midi. En allant chercher les outils, nous sommes prises toutes les deux d’une quinte de toux: un nuage de gaz lacrymogène provenant du quartier de Ras-Al-Hamud a atteint le jardin. Pourtant, aucune manifestation ne se fait entendre dans les alentours du Home… D’où vient le gaz? La quantité pulvérisée sur les manifestants doit être énorme, pour que le nuage ait pu voyager jusqu’à nous… Quelle horreur.
Au service du soir, nous apprenons que des manifestations se sont soldées par trois morts, dont un jeune de 17 ans tué à Ras-Al-Hamud, et plus de 200 blessés. J’ai le coeur déchiré. A la télévision du salon, les images des journaux arabes passent en boucle. Trois palestiniens soulèvent un corps emmailloté dans un linge blanc pour le porter au-dessus de la foule, en signe de protestation. Il y a une grande tache rouge sur le drap blanc. Une femme voilée pleure à chaudes larmes devant l’entrée des urgences, alors qu’on transporte quelqu’un sur une civière. Mon cœur est arraché. L’ambiance est lourde au Home. Les personnes âgées ont peur. D’autres prient pour la paix. Personne en tous cas n’a le coeur à rire. Je me sens mal. On aurait pu y être, on pourrait être à leur place. Et les familles des victimes… C’est atroce.
Etrangement, la soirée donne du baume au cœur. Nous mangeons avec l’ordre des Petites Soeurs de Jésus, et celles du Home. Je prends le temps de discuter avec plusieurs d’entre elles, ainsi que Soeur Christine, une Petite Soeur. Elle me raconte vingt-cinq ans de travail dans la Bande de Gaza avec son ordre. Au fil des récits de rencontres, d’expériences magnifiques et atroces à la fois, je vois des étoiles s’allumer dans ses yeux.
Nous mangeons, faisons des jeux pour accueillir deux nouvelles bénévoles. Soeur Marina anime la soirée, avec drôlerie et bienveillance. Chaque convive repart le sourire aux lèvres, des petits cadeaux pleins les poches. Lorsque les soeurs partent se coucher, mon coeur est apaisé. Nous discutons un peu avant d’aller donner des nouvelles à nos proches sur facebook. Les bruits de la Ville Sainte meurtrie s’apaisent, Jérusalem s’endort quand même. Cette mélopée me berce, comme si la journée n’avait connu aucune violence.
A suivre…