par Aurore Blanc
Un morceau d’Histoire
Un mégalithe bien caché
Pour les moins patient.e.s d’entre nous, il est possible de trouver l’emplacement approximatif du Grès de Saint Méen [prononcer « saint main » pour ne pas passer pour un.e touriste!] en le localisant sur Google Maps. Ce que j’ai fait la première fois, je l’avoue sans honte, car aucun panneau n’indique son emplacement. Mais même ainsi, le trouver n’a pas été une mince affaire, et nous avons dû nous y mettre à 5 en formant un cordon puis en marchant tout droit dans les monceaux de feuilles mortes avant d’en découvrir l’écrin moussu.
Pour les gens du coin, il est possible, en regardant bien sur la droite du sentier lorsqu’on suit le chemin depuis les hauteurs de Montfort-sur-Meu, de voir un petit passage qui y conduit entre deux pins. Mais qui marche le nez en l’air ou rivé sur ses pieds passera sans le voir à proximité du silencieux et mystérieux roc paresseusement étendu dans un creux du bois de Montfort.
Un mégalithe chargé d’Histoire
Classé monument historique depuis mai 19261, ce roc datant du néolithique est mentionné dans de nombreux textes2 à partir de 1849, date à laquelle un certain abbé Oresve dénonce les actes de vandalisme subis par le très ancien bloc de schiste ferrugineux. Il le décrit comme un menhir qui a pu être dressé à une époque avant de s’effondrer. Il étend depuis ses 3 mètres 50 de long dans une petite cuvette emplie de feuilles mortes, en bordure d’une forêt privée qui change souvent d’allure au fil des coupes de bois réalisées par son propriétaire.
Il présente aujourd’hui encore des marques longilignes bien visibles qui laissent à penser qu’il a dû recevoir de puissants coups assénés par des objets tranchants. Des haches, peut-être ? D’étranges perforations de quelques centimètres de profondeur y sont aussi visibles à plusieurs endroits. Les interprétations divergent forcément : Affiloir ? Polissoir ? Autel sacrificiel ? Comment démêler le vrai du faux après tant d’années et tant d’histoires qui se contredisent parfois ?
Un lieu fondateur propice aux légendes
« Où ma hache tombera »
Selon l’abbé Oresve, cet étrange rocher serait à mettre en lien avec une légende populaire locale ayant trait à la christianisation du lieu. Le dénommé Saint Méen, charpentier de métier, après y avoir aiguisé sa hache, l’aurait lancée avec force en déclarant : « Où ma hache tombera, Saint Méen bâtira ». Ainsi s’expliquerait le choix de l’emplacement de la paroisse de Talensac, à plus d’un kilomètre de là. Oui, il avait un bon lancer, le gars! Mais on adore la manière dont les légendes amplifient la réalité, n’est-ce pas ?
Christiane VS paganisme
En 1895, Edouard Vigoland3 étoffe la légende qui a traversé le temps autour de cette simple phrase en racontant comment Saint Méen, en lutte contre le paganisme, vint se confronter à la « pierre des druides ». Le narrateur à la première personne rapporte un échange avec la mère Jeanne, une femme du pays. La larme à l’œil, elle raconte que le Grès n’était pas un menhir dressé mais bel et bien la table d’un autel sacrificiel sur lequel les païens s’adonnaient à des sacrifices humains. Ainsi, Saint Méen apparaît-il comme un héros providentiel qui ramène la paix dans un lieu souillé par le sang et la mort, en plantant à côté de la pierre millénaire une croix consacrée. Le récit se poursuit ainsi : attaqué plus tard par un groupe de païens hirsutes alors qu’il y priait, Saint Méen, guidé par sa foi profonde, demeura immobile lorsque l’un de ses agresseurs (un ancien disciple s’étant finalement rangé au côté des païens) leva sa hache pour frapper le Saint Homme. Mais, foudroyé de manière inexplicable, le traître dut lâcher son arme. Saint Méen s’en saisit alors et prononça la célèbre phrase mentionnée plus haut. La pierre s’effondra ensuite sur le renégat qui fut ainsi châtié pour avoir trahi sa foi.
Dans cette version de l’histoire (probablement inventée de toute pièce par Edouard Vigoland), la lutte apparaît bien plus férocement entre chrétiens et païens, faisant la part belle à celui qui, au nom du Christ, vint « ramener l’ordre » en s’appropriant un lieu de culte bien plus ancien.
Un trésor caché?
Paul Bézier, quant à lui, mentionne en 1886 qu’on a maintes fois essayé de relever cette pierre car les gens du coin supposaient qu’elle recouvrait un trésor. En vain, car la nuit venue, les fosses creusées autour pour essayer de la déterrer se trouvaient mystérieusement rebouchées « par l‘effet d’un enchantement ».
Un lieu aux énergies ambiguës
Tristesse ou apaisement?
On ne peut nier qu’une étrange atmosphère règne dans ce coin de la petite forêt. Tantôt on s’y sent apaisé et on a envie d’écouter le chant des oiseaux en une douce méditation. Tantôt le souffle du vent fait ressurgir d’inquiétants souvenirs, comme si ce lieu était empreint d’une grande tristesse. Je m’y suis rendue à plusieurs reprises, avec différentes amies sorcières aux sensibilités différentes, et leur réaction ne fut pas du tout la même. L’une, habitant dans le coin depuis longtemps, continue à venir y méditer et s’y « recharger » régulièrement. Les autres, presque effrayées, ont senti monter des larmes inexplicables et ont dû quitter le lieu, avant même d’en connaître la légende.
Un lieu de culte moderne?
Un étrange culte semble aujourd’hui encore y être rendu. Par qui ? Il me faudrait pour le savoir camper là-bas un long moment, et je n’en ai pas eu l’occasion. Ni le courage. D’autant plus que le mégalithe est situé sur une parcelle privée! Si les plus observateurs et observatrices d’entre vous trouvent son emplacement non loin du sentier (il m’est arrivé de ne pas le retrouver alors même que j’en connais aujourd’hui l’emplacement!), ils.elles pourront observer tout un tas de petits personnages faits d’écorce, de galets et de pommes de pin peintes. Ce drôle de petit peuple qui se fond dans le décor nous observe, silencieux, accentuant tantôt le sentiment d’amusement, tantôt une sorte de malaise difficile à expliquer. Comme si on était observé.e…
Tombeau ? Lieu de sacrifices humains ? Polissoir ou aiguisoir à outils tranchants ?
Une fois de plus, je ne trancherai pas moi-même, car plus je sillonne les lieux insolites à la recherche des histoires qu’ils ont à nous raconter, plus je me délecte de ne pouvoir les démêler de la grande Histoire à laquelle elles sont inextricablement liées.
Sources :
1- référencement officiel : https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA35029159
2- Description et analyse de la roche : https://broceliande.brecilien.org/Le-Gres-Saint-Meen
La légende : https://broceliande.brecilien.org/La-legende-de-la-Gree-saint-Meen