Par Aya Gogishvili
10 Juillet 2017. Retour à Jérusalem.
La première fois que j’ai posé le pied sur la Terre Sainte, j’avais 18 ans. J’ai toujours été persuadée que certains endroits dans le monde nous « attendent », en quelque sorte, comme si nous étions prédestinés à y aller. Et ce premier contact avec le Moyen-Orient fut un véritable électrochoc pour moi. Sans me prendre pour la réincarnation de la Vierge Marie, tout là-bas me fascinait. Les remparts blancs de la ville de toutes les religions m’ont émue, la première fois que j’ai pu les observer. Je me suis sentie écrasée par le poids de l’histoire, de la civilisation et de la foi qui y règnent, mêlés à ce conflit qui m’a heurtée de plein fouet. J’admirais la façon dont les gens pouvaient y être extravertis, ouverts aux autres, habitués à la débrouille et au système D. Je trouvais tout magnifique, de la Mosquée d’Omar aux sables du désert, en passant par les sourires des enfants.
Deux semaines, c’était trop peu de temps passé en Israël. J’y suis retournée une deuxième fois l’année d’après pour y faire du bénévolat dans une maison de retraite, le Home Notre Dame des Douleurs. L’expérience fut bouleversante. Bercée par les chants du muezzin, la Maison était coincée entre la vallée de Jérusalem et le Mur de démarcation que les israéliens ont construit. Le Mur en lui-même, recouvert d’appels à l’aide, au secours, à la paix, était à la fois terrifiant et bouleversant. La Maison, elle, offrait un havre d’humanité et de paix, où des Soeurs de l’ordre des Filles de Notre Dame des Douleurs se battaient pour offrir un peu de dignité à des personnes vieillissantes, majoritairement d’origine arabe. Les moyens y manquaient, mais on y travaillait avec le cœur. Et c’était bien l’essentiel. .
Sept ans ont passé. J’ai presque 25 ans, et je retourne à Jérusalem. Cette fois, j’ai envie de partager avec quelqu’un que j’aime l’aura de ce pays qui m’a vue grandir par deux fois. Je pars donc avec mon amie Charlie, vers ce qui constitue pour moi d’une certaine manière un terrain initiatique. Retour à moi-même, donc.
Train, Orly, puis voyage en avion. A l’atterrissage, la première chose qui me marque de nouveau, c’est la densité de l’air. D’un coup, la température augmente de plusieurs degrés, et l’air se charge de poussière, de sable et de pollution.
Arrivées à Tel-Aviv, on cherche un taxi. Un israélien sexagénaire nous propose de nous emmener où on le souhaite pour un tarif réduit : on accepte.
« On va au Home Notre Dame des Douleurs sur le Mont des Oliviers, vous connaissez?
– Oui oui, bien sûr! Ne vous inquiétez pas, je connais Jérusalem comme ma poche, c’est ma ville! » Lorsqu’il découvre que nous sommes françaises, notre chauffeur est ravi : il parle français presque sans accent ! Aaron en profite pour nous parler de sa famille et de son pays. Nous ne sommes pas très à l’aise, car il roule à tombeau ouvert sur l’autoroute, et slalome entre les voitures qu’il double à l’envi.
« Je sais que je roule vite, c’est normal ici. Vous savez pourquoi? C’est parce que les compagnies du coin nous donnent un quota d’heures à faire par jour, sans prendre en compte les pauses. Si on ne roule pas à cette vitesse, on n’a pas le temps de se reposer ! » On traverse des paysages désertiques. De temps en temps, on peut apercevoir des villes perchées sur les dunes.
« Vous voyez, là-bas? C’est Ramallah. Pour les Palestiniens, c’est leur capitale. J’imagine que vous connaissez les actualités…? Alors vous savez que partout où il y a des arabes dans le monde il y a des problèmes. Nous, les Israéliens, sommes les seuls qui savons les tenir. Avec nous, ils se tiennent tranquilles. C’est pour ça que c’est bien qu’on soit là. »
Choquées, Charlie et moi échangeons un regard. Ce n’est visiblement pas la peine de débattre avec lui, nous préférons nous taire.
Finalement, Jérusalem se dessine au bout de la route. Ce sont les mêmes remparts blancs, et la même effervescence qu’il y a sept ans. La ville de toutes les religions est toujours aussi belle à mes yeux, et je suis émue de la retrouver. Notre taxi se dirige à l’opposé de notre destination. J’espère qu’il a compris ce qu’on lui a dit.
« Nous allons au Home Notre Dame des Douleurs, sur le Mont des Oliviers, vous vous souvenez? Vous savez où c’est? » Aaron marmonne une réponse affirmative, concentré sur sa conduite. Je n’insiste pas. La circulation est très dense, nous sommes pris dans des bouchons. Notre chauffeur peste contre sa climatisation qui marche mal, coupe la route à plusieurs voitures, mais roule au moins à une vitesse décente. En revanche, il ne se dirige toujours pas vers le bon endroit.
« Voilà, nous sommes arrivés!
– Non, là c’est Notre Dame Center, un hôtel. Nous, nous voulons aller au Home Notre Dame des Douleurs, sur le Mont des Oliviers.
– Ah bon? Mais il fallait me le dire! Où c’est, votre truc? Je ne connais pas, il va falloir me guider. » Ce n’est pas faute de t’avoir prévenu ! Je décide de ne rien ajouter: encore une fois, notre chauffeur n’entend que ce qu’il veut. Aaron opère un virage dangereux en plein bouchon en coupant la route à deux autres voitures, et repart dans la direction opposée. En voulant trouver un raccourci pour éviter les voitures, il nous perd au sommet du Mont des Oliviers. Il entre dans un cimetière et y reste bloqué, klaxonne comme un fou pour qu’on vienne dégager la route. Personne ne vient, il ressort en marche arrière, repart à grande vitesse sur la route principale maintenant dégagée. La voiture entre enfin dans le quartier de Ras Al Hamud, puis au bon endroit.Je reconnais la station essence, le Mur qu’il faut suivre pour arriver au Home. Enfin. Nous y sommes.
Le Home Notre-Dame-des-Douleurs a l’air d’être le même qu’il y a sept ans. Un millier de souvenirs me reviennent. Même temporalité, mêmes résidents. J’en reconnais quelques-uns. C’est merveilleux, j’ai l’impression de revenir dans le passé, ou dans un joli rêve. Que c’est bon d’être de retour.
Après le repas du soir entre bénévoles, je renoue avec un petit rituel. Derrière les quartiers des bénévoles, il y a une terrasse pourvue d’un magnifique figuier. La vue y est incroyable, et permet de contempler toute la vallée de Jérusalem. Comme lors de mon dernier voyage, je m’y installe avec un petit verre et une cigarette. La ville résonne de musique, de feux d’artifice, de pétards. Les Palestiniens fêteront ainsi toute la nuit les résultats du Baccalauréat. Nous nous endormons bercés par toutes ces explosions de joie.
À suivre…