Par Aya Gogishvili
Pour leur aventure suivante, nos quatre amis ont envie de partir à la découverte d’un lieu un peu à part. Lors de leurs échanges pour choisir leur prochaine excursion, Aurore leur parle d’un sanctuaire spontané qu’elle avait découvert quelques années auparavant lorsqu’elle vivait à Saint-Aubin-d’Aubigné, à une petite demi-heure au nord de Rennes. Situé dans le Bois de Borne, en bordure de la commune d’Andouillé-Neuville, le lieu abriterait la sépulture d’un saint populaire. Selon ses dires, l’endroit est aujourd’hui tellement fréquenté que les municipalités n’eurent d’autre choix que de construire un espace de stationnement supplémentaire pour ses visiteurs le long de la départementale! Encore une fois, ils tombent tous d’accord. La curiosité est universelle ! Aya possède un livre qui parle du tombeau, et elle se promet de le parcourir pour glaner quelques informations. Ils choisissent un dimanche glacial de janvier pour repartir une nouvelle fois sur les routes…
Le jour venu, il ne leur faut pas plus de quelques dizaines de minutes pour atteindre en voiture leur destination. Le tombeau est effectivement presque au bord de la route. Aurore stationne la voiture près d’un talus. Une petite allée bordée par quelques grands alignements d’arbres mène vers la sépulture, jonchée de dizaines d’ex voto laissés là par des anonymes. Ils prennent le temps de les contempler, et de lire l’histoire du lieu.
La légende locale, publiée en 1880 par Paul Sébillot parmi les Contes populaires de la Haute-Bretagne, raconte que Léonard (ou Lénard) était un jeune bandit de grands chemins dont les nombreux méfaits étaient connus des villages alentour. Un jour, marchant dans la forêt, il aurait attrapé une pomme à même l’arbre pour la manger. Dégoûté par l’amertume du fruit, il l’aurait jeté avant de passer son chemin. Le brigand serait revenu le lendemain et, retrouvant la pomme, en aurait pris une nouvelle bouchée qui l’aurait surpris par son exquise saveur. Léonard aurait alors compris que tout peut changer en ce monde, et qu’une seconde chance est toujours accordée, même aux malfrats de son espèce. C’est ce qui le décida à venir en aide à un paysan dont la charrette était embourbée non loin de là. Mais l’homme le reconnut car la réputation de Léonard le précédait partout, et, saisi d’effroi, il tua le bandit repenti sans autre forme de procès. Depuis, ce dernier aurait été inhumé dans la forêt où on raconte qu’il accomplit des miracles pour le bien de ses visiteurs, même si l’Eglise catholique ne l’a jamais canonisé. Peu importe ! Le peuple, lui, l’a fait. Et visiblement son culte est vivace, au vu des très nombreux remerciements que nos quatre amis ont sous les yeux. La plupart des prières et des remerciements concernent la réussite scolaire et le succès à divers examens (voir le lien vers cet article de Ouest France).
Une petite allée s’étend face à eux, jonchée d’ex voto soigneusement rangés au pied des arbres par couleur. On y trouve des icônes religieuses, de petits bijoux, des peluches, des pierres peintes et mille autres offrandes destinées à Saint Léonard. Les arbres qui jouxtent le chemin dégagent une atmosphère paisible. Plus loin, une petite arche en fer forgé mène à la tombe. Nos quatre amis prennent leur temps, lisent les prières et les mots laissés par des dizaines d’inconnus dont la sincérité leur va droit au cœur.
Ce genre de lieu à part est fascinant à bien des égards, et Aya partage le ressenti d’Aurore à ce propos. Quoi qu’en disent certains, l’humanité a besoin de rêver et de croire. Et ces sanctuaires spontanés sont une belle survivance de la spiritualité bretonne qui a su préserver ses anciennes croyances tout en embrassant la foi catholique.C’est ce qui permit aux églises de fleurir en terre bretonne, alors que les campagnes craignaient encore l’Ankou, guettaient ses intersignes ou faisaient appel à une Écouteuse de morts pour pouvoir communiquer avec des proches décédés. C’est cette Bretagne-là qui se perpétue en ces petits sanctuaires, à mi-chemin entre chrétienté et paganisme. Ces traditions discrètes sont importantes, car c’est aussi ces manifestations toujours actuelles de la spiritualité d’un peuple et d’une région qui fait son essence, en toute intimité.
Après s’être imprégnés de l’atmosphère du lieu et avoir parcouru du regard bon nombre de ces expressions de gratitude envers le Saint, nos compères décident de passer le petit portail. Autour de la tombe, plusieurs personnes sont assises en arc de cercle sur des chaises de jardin et se donnent les dernières nouvelles en habituées du lieu. Comme on le ferait au café sur la place du village. Sauf que nous sommes dans une forêt, le long de la départementale qui relie Rennes au Mont Saint Michel, en plein hiver. Que peuvent bien se raconter ces gens? Nos quatre amis tendent l’oreille…
A suivre…