Par Geneviève Laudet
« C’est tout droit pendant 230 km ! »
Si j’avais été routière entre Paris et Hambourg dans une vie parallèle, je pense que cette phrase m’aurait paru anodine, mais elle m’a fait écarquiller mes yeux de petite citadine sédentaire accro aux vélos en libre-service. Pourtant c’est bien sur cette injonction du GPS que mon compagnon a démarré le moteur de notre voiture de location et que nous nous sommes engagés sur la fameuse « Icefield Parkway » ou encore « Route des Glaciers », dans les Rocheuses canadiennes.
Deux cent trente kilomètres de double voie rectiligne au milieu des plus beaux sommets de cette chaîne de montagnes, entre forêts aussi denses que l’humour de Bigard et lacs aussi transparents que mon avis sur lui. Deux cent trente kilomètres pour observer l’immense majesté de la nature d’aussi près qu’il puisse être imaginable, puisque c’est sur cette route considérée comme une des plus belles du monde qu’il est possible d’aller fouler le pied du glacier Athabasca, les mains toujours plantées sur le volant. Autant vous dire que j’ai mis un point d’honneur à incarner le mot « excitation » tandis qu’ont commencé à défiler les premiers virages.
Icefield Parkway (speakons angliche vu que nous sommes en Alberta) relie les villes de Lake Louise et Jasper au cœur du parc national de Banff depuis 1940. Temps estimé sans arrêt avec une moyenne de 90 km/h : trois heures. Temps effectivement réalisé : six heures. En effet le parcours regorge de points de vue et de micro randonnées pour aller admirer des cascades et autres joyeusetés, sans parler de la simple joie d’observer le champ de glace Colombia visible tout au long du voyage.
Avec un nom pareil, vous vous doutez que cette route est fermée pendant l’hiver à cause des risques d’avalanche, mais j’avoue que si je n’avais pas eu quelques objections contre le fait de décéder sous un tas de neige, j’aurais bien entamé un périple à pied au cœur de ces glaciers façon Pocahontas en polaire Gore-Tex.
C’est pourtant bien au plein milieu du mois d’Août 2021 que j’ai eu le plaisir de compter parmi les centaines de milliers de véhicules empruntant ces doubles voies de légende. Nous avions prévu des petits sandwiches mais surtout un plein d’essence avant de partir, car il n’y a qu’une seule station sur l’Icefield Parkway et elle se classe facilement parmi les plus chères du monde. Autant vous dire que la perspective de faire la queue pendant une heure et de payer le litre de sans plomb au prix de trois Coca-Colas à Courchevel nous a poussés à être prévoyants. La Route des Glaciers était le point final de la première partie de notre roadtrip au Canada et nous savions que nous allions en prendre plein la vue, mais nous ne nous attendions certainement pas à vivre le plus beau moment de nos deux années là-bas.
Nous roulions déjà depuis quelques heures au son des plus grands classiques du rock et le soleil déchirait progressivement les nuages pour installer ses rayons dorés sur les montagnes environnantes. Quelques scintillements immaculés au loin illuminaient les glaciers et j’avais le loisir de laisser mon regard se perdre dans le paysage puisque c’est Compagnon qui se tapait la conduite (en vérité il kiffait autant que moi-même en regardant tout droit mais comme ça je le fais passer pour un gentleman).
Soudain, nous avons aperçu une camionnette grise arrêtée en warnings sur le bas-côté au milieu de nulle part. Peut-être s’agissait-il d’un caillou particulièrement rigolo à observer ? Alors que Compagnon ralentissait prudemment et que je scrutais curieusement les rochers en imaginant des formes particulièrement rigolotes, nous l’avons vu.
A moins de dix mètres sur notre droite, un ours noir était occupé à chercher des baies dans les buissons. Autant vous dire que Queen et ses compères se sont promptement fait couper le sifflet à la radio et que ma mâchoire s’est décrochée de façon dramatique à l’instar de celle de Compagnon. Silence et stupéfaction. Frissons. Se rapprochant, l’ours nous a considérés un instant et a dû décider que nous étions quand même vachement moins intéressants que les baies puisqu’il a continué son petit marché sans se préoccuper de ce petit groupe d’humains nuls dans leur boîte en tôle.
Je me souviens que nos vitres étaient déjà entrouvertes et que je respirais le moins fort possible, autant par surprise que parce que je voyais distinctement ses grosses pattes pleines de griffes. Au bout d’un moment, il a traversé la route déserte devant nous et s’est mis à trottiner sur le bord opposé. C’est le moment que le soleil a choisi pour signer ce tableau déjà digne d’un Disney en apparaissant fugacement, et je vous avoue que je me suis effectivement sentie toute petite et toute nulle dans ma boîte en tôle. Seul mon instinct de survie m’a empêchée de sortir de la voiture pour marcher à côté de l’ours dans ce paysage magnifique (et le fait que Compagnon aurait été soûlé de devoir expliquer à ma famille que j’étais retournée à l’état sauvage, déso).
Je ne sais pas si vous avez déjà vécu ce genre de moment parfaits, aussi parce qu’ils sont très éphémères, mais c’était l’un de ceux-ci. Comme si vous preniez mentalement une capture d’écran en 4K. J’aime à imaginer que le Canada nous a fait un petit clin œil sauvage comme pour nous dire « Tenez les dudes, c’est cadeau ça, prenez et chérissez ce souvenir les jours un peu plus maussades de la vie ».
Dans un réflexe à faire jouir les instagrameuses en manque, j’ai agrippé mon téléphone et j’ai fait une photo qui est encore aujourd’hui parmi les plus belles et absurdes que j’ai jamais pu faire, c’est celle que vous voyez actuellement reproduite par la main d’Heyton’ sur cet article. Je me souviens m’être demandée quelle pouvait être la vie de cet ours dans cet écrin de nature, entre les baies, la bronzette et les soirées hibernation chez le voisin pour se marrer en pensant aux humains toujours trop pressés dans leurs voitures. Peut-être avait-il ses pensées tournées vers une ourse rencontrée au printemps dernier qui lui avait donné son 06 ? Il faudrait qu’il lui trouve un petit peu de miel au prochain rendez-vous, ça fait galant. Parce que les baies, c’est un peu radin quand même. Et qu’est ce qu’ils foutent là à me regarder avec leurs yeux de merlans frits ? Ils ont jamais vu d’ours de leur vie ou quoi ? En plus en ce moment je me sens ballonné, je suis vraiment pas à mon avantage. Tiens en parlant de poisson j’irai bien faire un tour dans la rivière là-bas, histoire de choper deux ou trois saumons pour les omégas 3. Ciao les nullos !
Au bout d’un moment, nous avons redémarré prudemment et avons laissé l’ours dans notre rétroviseur, alors même qu’il disparaissait dans les buissons, se rendant à nouveau invisible. Le reste de la journée a été marqué par l’empreinte de cette rencontre et nous avons d’autant plus profité des magnifiques paysages offerts par l’Icefield Parkway. Le parc national de Banff lui-même regorge de pépites que je prendrai plaisir à partager avec vous dans d’autres articles, mais j’avais à cœur de vous raconter cet incroyable moment de notre voyage dont le souvenir réchauffe effectivement encore maintenant les jours un peu plus maussades de la vie.
Alors ouvrez les yeux, car je suis de celles qui croient que ce n’est pas seulement au milieu du Canada que ce genre d’instant peut survenir, mais aussi dans le sourire d’une personne croisée dans un café ou encore dans le vol gracieux d’une pie en ville. Le monde qui nous entoure est beau, il suffit d’apprendre à regarder !
Gardez la pêche, perdez pas le noyau.