Par Aurore Blanc
Je n’ai pas gardé beaucoup de bons souvenirs de Berlin. Peut-être parce que je ne me sentais pas très bien à l’époque où j’y ai séjourné en famille, en août 2010. On ne peut pas prendre de vacances de soi-même, et on se ment souvent en pensant qu’un voyage suffira à nous faire oublier nos tourments. A l’époque, la modernité de la ville m’a donc paru dénuée de charme, et j’étais trop fatiguée pour profiter de sa folie nocturne.
Pourtant, un îlot de musique et de soleil émerge de ces souvenirs gris. Et cet îlot s’appelle Mauerpark. Il s’agit d’un grand parc situé dans le district de Prenzlauer Berg, au cœur de la capitale allemande. Un grand parc dans le centre d’une grande ville, d’accord, d’accord me direz-vous. Sauf que Mauerpark renferme plusieurs pépites, dont l’un des plus incroyables marchés aux puces qu’on puisse imaginer. J’ai encore des souvenirs très nets de la chaleur, du sable et de la poussière qui s’élevait en volutes, m’obligeant à me couvrir le visage d’un foulard. Les stands s’étendaient à perte de vue, chaque allée en dévoilant une autre au dernier moment. Je ne savais plus où donner de la tête, ni dans quel bac fouiller pour trouver plus de merveilles. Des images me reviennent en vrac : des tapis, de la vaisselle, des chandeliers aux branches interminables… En me voyant ainsi accoutrée dans un tel décor, j’aurais pu me croire dans un souk à Marrakech !
Mais l’autre particularité de Mauerpark qui m’a donné en vie d’écrire cet article aujourd’hui, c’est le souvenir indélébile que m’a laissé son « bearpit karaoke ». J’ai appris plus tard que ce n’était pas un événement isolé auquel j’ai assisté ce jour-là, puisqu’il a toujours lieu tous les dimanches à 15h. Mais quand j’ai pénétré dans le grand théâtre en plein air taillé à flanc de colline, et que j’ai entendu la clameur de tous les gens qui s’installaient là et riaient dans l’attente d’un spectacle dont j’ignorais la nature, quelque chose s’est réveillé en moi. Sur la piste pavée en bas des gradins, il y avait juste deux grosses enceintes, un micro, et un drôle de type avec un chariot-vélo recouvert d’un parasol bigarré qui bidouillait sur un ordinateur portable. De temps à autres, des gens descendaient des gradins, venaient lui parler ; il notait quelque chose sur un carnet puis les laissait repartir. Très vite, il a pris la parole, annonçant l’ouverture du spectacle en appelant un premier « candidat ». Et là, j’ai compris.Pendant plusieurs heures, les gens sont descendus tour à tour des gradins, ont pris le micro, et ont chanté, chanté sans complexes, sans états d’âme, accompagnés par la musique que programmait l’homme au chariot (l’irlandais Joe Hatchiban) sur son tout petit clavier. Ils chantaient juste pour le plaisir d’être là et de partager un jour d’été avec des centaines d’inconnus en liesse. Chaque chanson soulevait des hurlements de joie et des tonnerres d’applaudissements de la part de la foule réunie là. Je me souviens en particulier de deux fillettes blondes qui faisaient des signes à la foule en délire pour la faire taper des mains. Je me souviens aussi de cet américain débarquant avec son chapeau de cow-boy et s’engageant dans une impressionnante chanson « country ». Et je me souviens surtout de cette Néo-zélandaise complètement ivre qui a à peine réussi à arriver jusqu’à la scène et qui a interprété la version la plus intense et la plus folle de Sweet Child O’Mine des Gun and Roses qu’il m’ait été donné d’entendre à ce jour. Elle hurlait « Where do we go now ? » et secouait ses cheveux dans tous les sens, sa bière à la main, renversant la moitié du liquide sur les pavés, sans aucune limite. Quand la chanson s’est terminée, je me suis redressée en criant, en même temps que tous les gens assemblés là, pour lui faire une ovation digne d’une rock star. Parce que sans le savoir, ce jour-là, cette jeune femme ivre venue de l’autre bout du monde a rallumé quelque chose qui s’était éteint et qui brûle encore en moi à chaque fois que je prends un micro. Cette soif inextinguible de communion humaine, d’émotions, de son pur. Et même si j’ai longtemps regretté de ne pas avoir eu le courage de chanter ce jour-là, j’ai bon espoir d’y retourner un jour, et de hurler à pleins poumons ce « I love Rock’N roll » que j’ai depuis appris par cœur, me faisant la promesse secrète de ne plus jamais me dégonfler.
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Plus d’infos :
Karaoke du Mauerpark – Gleimstraße 55, Berlin, BE 10437
Leur page officielle ici!
Tous les dimanche d’avril à novembre, à 15h
GRATUIT
Quelques conseils pratiques glanés sur le blog Wanderlustale !
«1- Parfois le karaoké est annulé suite aux conditions météorologiques et également durant l’hiver. De ce fait, surveiller la page Facebook afin de pas être déçus.
2- Le parc est accessible à pied depuis la station de métro de Eberswalder Straße ou en tram avec le M10 à l’arrêt Friedrich-Ludwig-Jahn-Sportpark.
3- La meilleure entrée du parc se fait par la Bernauer Strasse, juste à côté d’un photoautomat vestige du passé berlinois toujours en fonction. »
Retrouvez le travail d’Antonin sur son Instagram !