Par Geneviève Laudet
C’est à ce moment précis, face à mon clavier, lorsque je dois raconter mon voyage en Écosse, que les mots semblent m’échapper. Quelle singulière sensation pour moi qui n’hésite pourtant pas à les faire danser à chaque occasion ! Néanmoins, là, il ne sort rien de très clair de leur tourbillon incessant. En effet, comment décrire la Liberté ? Comment décrire l’Horizon ? Je crois que ma meilleure chance est encore de vous proposer une mise en situation. Prenez place au creux de mes souvenirs, montez à bord du train de ma mémoire et imaginez-vous à mes côtés aux confins de l’île de Skye, à l’extrême Ouest du pays, non loin de ce phare du bout du monde connu sous le nom de « Neist Point », ou « Rubha na h-Eist » en gaélique écossais.
L’aube vient de se lever et alors qu’un frisson vous parcourt l’échine, vous resserrez autour de votre cou l’écharpe en laine aux motifs de tartan écossais, achetée quelques jours plus tôt à Edimbourg. Fermez un instant les yeux et sentez. Sentez le vent marin chargé d’embruns fouetter votre visage tandis que quelques rayons de soleil parviennent à percer les nuages pour picoter votre peau d’une chaleur bienvenue. Alors qu’une odeur d’iode et de sel emplit sûrement vos narines, rouvrez les yeux et regardez.
Face à vous, l’immensité. Le début de l’océan Atlantique s’étend comme une plaine bleu sombre, teintée de gris orage, comme les signes annonciateurs d’une tourmente météorologique bien connue dans ce pays. Les nuages eux-mêmes ne mentent pas, ils alternent entre le blanc et le noir comme autant de nuances qu’il serait possible d’imaginer. La lumière du soleil passe par quelques trous parfois, faisant paraître des tâches éphémères sur l’eau agitée. Vous savez que se trouvent peut-être dans l’onde salée, sous vos yeux, quelques représentants de la faune marine locale : dauphins, marsouins ou même baleines. Néanmoins, seul l’horizon s’étend à perte de vue et vous ne distinguez même pas la dernière bande de terre écossaise de North Uist pourtant bien devant vous, quelque part, avant que l’océan ne règne en maître jusqu’au Canada.
Comme une dentelle fracassée, ce sont bien cependant les côtes de l’île de Skye qui vous entourent. La roche noire se mêle aux étendues vertes, comme si vous vous teniez sur une immense bande de mousse en forêt. Il n’y a pas d’arbres, seuls quelques vaillants buissons épars au ras du sol résistent encore et toujours au vent envahisseur venu du large. Non loin se dresse le phare immaculé de Neist Point, sa lanterne couverte par une coiffe en métal noir. Quelques bâtiments sont disposés à son pied, inaccessibles au public depuis des années au vu de leur proximité avec la falaise plongeante. Il n’y a pas âme qui vive, pas même un mouton. Un sentier se rapproche du phare, seule langue de béton gris foncé dans la plaine verte fouettée par le vent et par moments votre regard est tout autant attiré par la danse des brins d’herbe secoués, faisant comme des vagues terrestres, que par l’océan devant.
Écoutez, maintenant. Écoutez le silence seulement brisé par le mugissement du vent, le fracas des vagues contre les côtes dentelées de pierre sombre, ou encore par les quelques cris de mouettes au loin, faisant comme un écho distordu.
Tout ce tableau visuel et sensoriel rend hommage à la nature sauvage, à la beauté brute et sans fioritures qui se retrouve si souvent dans les paysages écossais. C’est finalement cette magnifique absence de détails qui devient le meilleur des canevas pour les poètes et les rêveurs. En effet, si vous en êtes, vous imaginerez sans peine dans ce décor quelque histoire ou aventure, des navires tanguant sur l’eau, les marins au loin saluant les bergers sur la falaise près du phare. Est-ce une des raisons pour lesquelles l’Écosse est mondialement connue pour être une terre de légendes ?
Voilà venu le temps de m’effacer pour vous laisser le champ libre, vous pouvez rester un peu plus si vous le souhaitez. De mon côté, je vais reprendre la route jusqu’à Édimbourg, son château et sa vieille ville aux bâtiments sombres parcourus de fantômes pour effrayer les touristes. Attablée devant ma pinte dans un pub, je repenserai sûrement à ces instants d’éternité à Neist Point, qui me laisseront surtout un sentiment de gratitude : nous sommes tous les témoins de la beauté de notre terre pour peu qu’on veuille bien lever un peu les yeux. Qu’est-ce que vous attendez ?
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