Par Aurore Blanc
A chaque fois que nous prenons la route, quelle que soit notre destination, nous emportons toujours l’ouvrage qui recense les arbres remarquables1 de la région que nous traversons, ou vers laquelle nous allons. Remplaçant alors notre vieille carte Michelin, il nous propose des itinéraires insolites qui nous font souvent quitter les grands axes à la recherche des spécimens étonnants jalonnant notre parcours. Lorsque nous nous sommes mis à la recherche du noisetier de Lanrivain, nous étions loin de nous douter à quel point ce petit jeu de piste allait prendre des airs de quête du Graal ! Mais maintenant, je connais le chemin. Alors… suivez la guide !
Trouver le chemin
Point de départ
Toute quête a forcément un point de départ. Encore faut-il le trouver !
Les auteurs de notre fidèle ouvrage sur les arbres remarquables (nous l’appellerons ici le grimoire) restent souvent évasifs à ce sujet, leur but étant avant tout de recenser un précieux patrimoine végétal à protéger, pas d’y conduire des curieux peut-être malavisés. Nous frétillons d’excitation à l’idée que, cette fois, ça ne va pas être facile. Fièrement équipés pour notre périple d’un sac à dos contenant un couteau suisse, de l’eau, des cookies et du matériel de dessin (oui, dans un film d’heroic fantasy, nous serions donc morts avant la fin du premier quart d’heure), nous comptons sur l’instinct de notre chienne Gaïa pour nous dégotter un sentier.
Mais des sentiers, il y en a plusieurs qui partent du pied de la retenue d’eau de Kerné Uhel où nous nous sommes garés. On n’est même pas encore partis que c’est déjà mal parti : malgré mon BAC +5 en lettres modernes, je ne comprends pas l’expression sibylline « en contre-haut de l’usine d’eau potable » employée par les auteurs de notre grimoire. Au-dessus ? En face ? Les deux ?
Fausse piste
Attirés par la fraîcheur du mince cours du Blavet (ici ruisseau, mais qui deviendra rivière avant de se jeter dans l’estuaire de Kerhervy où nous avons un jour visité un magnifique cimetière de bateaux), nous empruntons un petit chemin de halage avant d’arriver au barrage. Nous avons eu beau scruter les sous-bois avec une attention digne de quêteurs aguerris, nous n’avons rien vu qui puisse ressembler à la photo de notre guide.
Fausse piste. Frustration. Envie de tricher vu l’heure déjà avancée de l’après-midi et la route qu’il nous reste à faire pour rentrer. Nous invoquons alors notre allié suprême : Google Maps. Ok. Le trésor ne se trouve qu’à 1,2 km, soit 20 minutes de marche le long de la départementale pour remonter vers le hameau de Saint Antoine. Attendez… Marcher sur une départementale ? Pas question ! HeyTon’, mon fidèle partenaire de quête, vient de trouver un tout petit sentier équestre balisé de jaune qui s’enfonce dans un sous-bois sur la droite en face de l’usine. La chasse est ouverte !
Se perdre dans une jungle sans merci
Errances et chien fou
C’est vraiment joli hein. Le sentier est tout moelleux d’humus et de feuilles sèches. Les arbres sont immenses, magnifiques. Et puis c’est facile, il y a des balises ! Et puis… Il n’y a plus de balises. Bon. D’après Google Maps, il faut gravir la colline qui se dresse devant nous. Là encore on teste plusieurs chemins, tentant de suivre notre instinct comme Gandalf au cœur de la Moria, les chaussures crottées par la boue de minuscules cours d’eau. Nous commençons à fatiguer, et le petit pin’s rouge sur notre carte numérique nous nargue effrontément. C’est juste à côté ! Mais partout se dressent des buissons de ronces, des murailles de fougères, et on ne peut pas compter sur Gaïa qui semble avoir décidé d’essayer au hasard tous les chemins pour mieux se rouler dans les flaques !
Le portail magique
En suivant les crottins de cheval du supposé sentier équestre, nous finissons par tomber nez-à-nez avec une adorable chapelle en haut de la colline que nous avons fini par escalader (« franchir en rampant » serait une expression plus appropriée, mais tout le monde sait que les épopées sont écrites par les vainqueurs. Ainsi, notre dignité est sauve). Des fleurs poussent çà et là sur la toiture de la chapelle et sur ses murs usés, et sa flèche brisée se perd dans les ramures de deux immenses chênes. Aucun doute. C’est un portail. Il faut passer par là.
Errer dans le hameau fantôme
Lieux Mouvants
Après avoir traversé une plaine vallonnée à la pelouse impeccable, nous nous faufilons entre les maisons de pierre grise du hameau de Saint Antoine. Pas âme qui vive sous la chaleur écrasante de cette fin d’après-midi de juin. Nous apprenons par des panneaux explicatifs que cet endroit pittoresque, considéré comme un haut-lieu culturel en centre Bretagne, accueille chaque année durant l’été un festival joliment nommé Lieux mouvants2. Ça colle pas mal avec cette aventure. Une grande halle ouverte, très moderne, nous offre un peu de répit à l’ombre.
Le vallon piégeux
En contrebas, après une suite de roulés-boulés, Gaïa entreprend de se désaltérer à une petite source surmontée d’une croix de granite. Il y a sûrement une légende associée à ce lieu aussi idyllique que mystérieux. Une certaine lassitude s’empare de nous, et nous sommes un instant tentés de nous étendre dans l’herbe pour nous remettre de notre dernière heure à crapahuter à flanc de colline dans la végétation hostile… Mais au fond de nous, nous savons que c’est un piège destiné à nous détourner de notre véritable quête.
A quelques centaines de mètres…
Le noisetier, toujours invisible malgré sa supposée carrure gigantesque, n’est plus qu’à une centaine de mètres, précisément à 4 minutes de notre halte dans le hameau fantôme. Mais le chemin que le GPS nous propose d’emprunter… est inexistant. Nous comprenons vite qu’il a été recouvert par l’herbe faute d’avoir été récemment emprunté, et voilà notre curiosité d’explorateurs à nouveau en éveil. Nous trouvons une minuscule piste juste en-dessous de la halle des spectacles. Perplexes, un peu hagards, nous parcourons au hasard la centaine de mètres restante. Une ouverture dans la végétation sur notre gauche attire notre attention. Une pierre dressée percée de deux trous qui lui donnent des airs de génie de la forêt nous souhaite la bienvenue. Il nous faut encore courber l’échine pour passer sous quelques branches basses couvertes de lianes et de mousse, et soudain, il est là.
Trouver le trésor
Un face à face saisissant
Sans les indications notées dans mon grimoire, je n’aurais jamais pu me douter qu’il s’agissait d’un noisetier. Le colosse qui surgit de terre au milieu du chemin face à nous n’a rien de l’arbre frêle et souple auquel j’associais jusqu’alors cette essence d’arbres. Un faisceau monumental d’une vingtaine de « troncs » moussus (ce sont en fait des branches particulièrement massives) part à l’assaut du talus qui le borde sur la gauche, et du fossé plein de broussailles sur la droite. Sa frondaison d’une vingtaine de mètres d’envergure est immense, et ses branches nous recouvrent déjà plusieurs mètres avant que nous n’en atteignons le tronc. Émerveillés, nous nous avançons en poussant des exclamations d’enfants qui viennent enfin de trouver le trésor après un jeu de piste particulièrement éprouvant.
Monstre sacré
Le géant aux allures d’hydre, accoudé au talus, semble prêt à attendre là encore quelques siècles. Il est déjà estimé entre 150 et 200 ans, ce qui témoigne d’une remarquable adaptation à son environnement. En effet, les noisetiers (ou coudriers) sont plutôt des arbres fragiles. Or certaines branches de ce spécimen dépassent les 40 cm de diamètre, d’où l’impression saisissante qu’il est composé de multiples troncs. Le souffle coupé, j’ose à peine imaginer à quoi doit ressembler son réseau racinaire. Les spécialistes estiment qu’il serait l’un des plus anciens noisetiers de France, et l’effet de « colonie végétale » engendré par le nombre et la taille de ses branches est extrêmement rare en Europe.
Mythes nordiques
Michaël Jézégou, l’un des auteurs de notre grimoire, développe à son sujet une pertinente analogie avec Mimir, le sage noisetier ami du grand frêne Yggdräsil dans les mythes nordiques. De ce géant, qui occupe tout l’espace disponible en tendant ses bras à la fois vers l’eau, la terre et le ciel, émane une impression de sagesse ancestrale liée aux forces élémentaires. Peut-être ses fruits à lui aussi nous procureraient-ils une connaissance sans limite des arts et des sciences ? C’est tentant. Hélas ce n’est n’est pas encore la saison des noisettes, et nous nous contentons de regarder la lumière du soleil couchant faisant luire son feuillage translucide d’une lueur bienfaisante.
Alors, après une belle session d’écriture et de dessin, nous nous levons sur la pointe des pieds pour ne pas effrayer les quelques chevreuils que nous avons vus passer derrière lui et nous redescendons sans encombre vers notre véhicule. Et cette fois-ci, le parcours a bien duré 20 minutes !
Notes
1-Arbres remarquables des Côtes d’Armor, Guy Bernard, Yannick Morhan, Michaël Jézégou, éditions Locus Solus (2022)
2- Sur le festival Lieux-mouvants : https://www.lieux-mouvants.com/Lieux/saint-antoine-lanrivain-22/
NB : Le hêtre remarquable de Saint Antoine se trouve aussi dans les environs et aurait pu faire l’objet d’une quête annexe. Il est clairement indiqué sur les panneaux des sentiers de randonnée du coin. Nous n’avons pas eu le temps de lui rendre visite, mais n’hésitez pas à nous en parler si vous le connaissez !
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